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mardi 27 juillet 2021

Comprendre le parcours des Bretons qui traversèrent l’Atlantique


            Ayant actuellement, pour un projet personnel, à me documenter sur l’immigration bretonne aux Etats Unis, j’ai découvert un livre qui pourrait intéresser certains lecteurs du blog. C’est les très bonnes Editions Ouest France qui nous proposent un ouvrage riche sur le sujet : Ces Bretons d’Amérique du Nord. Ce travail est le fruit d’une collaboration de trois auteurs : Josette Jonas, bretonne ayant grandi aux USA, Christian Le Corre écrivain breton ayant l’habitude de collaborer avec cet éditeur et enfin Christiane Jamet morbihannaise ayant passé plusieurs décennies outre-Atlantique. Le livre se fixe pour mission d’explorer l’immigration bretonne du XVIe siècle jusqu’à la fin du XXe siècle, un beau défi.

I : Des audacieux explorateurs aux entrepreneurs téméraires

            Quand j’ai pris ce livre sur les étagères de la bibliothèque je pensais en priorité à l’immigration des masses appauvries des XIXe et XXe siècles. Le livre m’a agréablement surprise en prenant le terme de Bretons d’Amérique au sens large. Les auteurs ont fait le choix intelligent de remonter aux explorateurs qui emboîtèrent le pas à Christophe Colomb. Le livre s’ouvre donc sur le parcours de Jacques Cartier, premier d’une série de bretons voyant dans cette dangereuse traversée une promesse d’avenir. Il s’agit là d’hommes principalement issus du monde maritime.

Progressivement le livre avance dans le temps et s’intéresse à l’immigration motivée par la fuite de la pauvreté, des chercheurs d’or aux migrants de troisième classe passant à Ellis Island. Néanmoins l’ouvrage n’oublie pas de traiter en parallèle le maintien d’une immigration aisée qui voit dans la traversée de l’Atlantique une forme d’aventure. Je vous conseille en particulier la lecture du portrait de la comtesse Geneviève de Méhérenc de Saint Pierre.  

Le livre s’ouvre aussi sur les bretons d’aujourd’hui ayant fait le choix de l’immigration. Un "aujourd’hui" à relativiser puisque le livre est sorti en 2005. L’idée est tout de même intéressante puisqu’il montre que la dynamique migratoire bretonne s’est transformée sans s’éteindre.

II : Les bretons d’Amérique entre intégration et attaches culturelles armoricaines

            Plusieurs chapitres évoquent, soit comme thème principal, soit en filigrane les relations avec les racines bretonnes. N’oublions pas que durant longtemps nos bretons immigrants partent en n’ayant pour seul bagage culturel une langue régionale et des traditions qu’ils vont maintenir outre Atlantique. Comme la plupart des immigrés qui arrivent sur les rivages de l’Amérique, les bretons se regroupent dans certaines localités. La raison principale est que, souvent, on rejoint de la famille. Cela permet aussi de passer outre la barrière de la langue et de limiter ainsi sa perte de repères. Certains enfants de première ou deuxième génération seront ainsi trilingues (Breton-Français-Anglais).

Au XXe siècle néanmoins, une partie des migrants doit faire des choix plus radicaux. La première guerre mondiale précipite ainsi certains hommes à demander la nationalité américaine pour échapper à la mobilisation. Attention, l’ouvrage rend aussi hommage à tous ceux qui ont répondu à l’appel ou se sont engagés volontairement dans un corps armé (français, américain ou canadien). D’autre part, quand il s’agit de scolariser les enfants, on remarque, par exemple à l’usine Michelin, que les familles bretonnes préfèrent envoyer directement leurs enfants à l’école publique américaine. Notons pourtant qu’une école française est proposée sur le site, mais que pour de nombreuses familles l’intégration semble plus aisée en passant par l’école du pays accueillant.

Un partie est aussi consacrée à l’existence des associations et regroupements organisés pour partager la culture du pays natal. Le livre donne de nombreux exemples de retour au pays, temporaire ou définitif. C’est un volet intéressant qui démontre que l’immigration se pense toujours en lien avec la famille restée au pays. Le choix même des noms de ville comme Gourin City démontre cette ambivalence entre le rêve d’une nouvelle vie et l’attachement au pays natal.          

III : Une fenêtre sur la question de l’immigration bretonne

Comme tout livre qui se respecte celui-ci a ses biais et ses défauts. Les chapitres tournent ainsi parfois au catalogue de portraits et d’anecdotes. Ceux-ci s’enchaînent au risque de donner parfois le tournis aux lecteurs. On regrettera aussi que le livre parle assez peu des procédures de départ, des formalités administratives, obstacle inhérent à la grande traversée. Enfin comme beaucoup de livres écrits par ceux qui ont participé où été le fruit de l’immigration, le livre nous montre quasi-exclusivement les parcours de migrants qui ont réussi leur pari. Bien sûr il évoque quelques échecs, des retours au pays, mais presque toujours présentés comme motivés et volontaires. Aucun portrait de breton ayant brillé dans la grande criminalité ou s’étant illustré par des faits répréhensibles. Disons qu’il n’y en eut pas, vous me direz qu’on entend jamais parler d’une mafia bretonne à New York.

Passées ces quelques réflexions personnelles, on ne peut que souligner l’apport de ce livre comme fenêtre sur le phénomène migratoire breton. Pour les lecteurs du roman Corentine de Roselyne Bachelot, vous trouverez là un bon moyen de prolonger ses intéressantes réflexions sur la vague migratoire partie de Gourin. Le livre offre donc l’opportunité de se pencher sur cette immigration particulière. Le fait de se projeter sur près de cinq siècles offre une véritable plus-value à l’ouvrage. 

 

            Le livre intéressera en particulier les amateurs d’histoire bretonne et les généalogistes ayant des aïeux ou cousins ayant connu ce parcours atypique. Même si, comme moi, votre histoire familiale n’est pas directement concernée par des immigrants américains, cette lecture pourrait vous passionner. Si vos bretons sont restés, comme les miens, bien accrochés à leur terre natale, je vous conseille en particulier le chapitre sur la Bretagne au XIXe siècle. Le livre en lui-même est, en plus, de belle qualité et sérieusement illustré tout en restant plus manipulable qu’un beau livre, dont le poids dissuade parfois la consultation. Je vous souhaite un bon voyage, livresque.


Bonne lecture à tous  

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