vendredi 12 mars 2021

Corentine, une grand-mère énigmatique ?

 



Bonjour à tous,

                Après un article ludique la semaine passée, revenons aux choses sérieuses. Voici un ouvrage qui plaira à mes élèves de généalogie et qui s’intègre aussi dans le programme des élèves de 1ere, en histoire. J’ai découvert l’existence de Corentine via le très intéressant groupe Généalivre dont je vous conseille la fréquentation. Le Père Noël, ayant bien lu ma missive, m’apporta ce petit livre commis par Roselyne Bachelot à propos de sa grand-mère, une bretonne originaire de la région de Gourin montée travailler à Paris.

I : Une destinée bretonne au tournant du siècle

                Le livre n’est pas à proprement parler une biographie complète de Corentine Sinou (nom de jeune fille) puisqu’elle va se concentrer sur les 29 premières années de sa vie. Nous reviendrons plus tard sur ce découpage. Le livre s’ouvre sur le retour de Corentine à Gourin en 1919, bien décidée à s’affirmer et à se réinstaller dans son terroir. Née en 1890, jamais scolarisée, elle a connu le travail dès l’enfance. D’abord, comme ses sœurs, en assistant dès le plus jeune âge sa mère dans les tâches ménagères. Ensuite elle a connu le travail de domestique non loin de chez elle, ses gages étaient versés à ses parents. Enfin le départ pour Paris à l’aube de l’adolescence, la découverte des disparités entre les différentes maisons constituent son nouveau monde. Plus tard il y aura la guerre et à l’image de milliers de français un changement de situation, la domestique deviendra ouvrière dans l’armement, les fameuses munitionnettes.

                L’histoire de Corentine ce n’est pas seulement celui du parcours de la misère paysanne à la lutte ouvrière. C’est aussi une histoire d’amour faisant fi des barrières entre les milieux sociaux. Corentine rencontre Jean Le Bris et, malgré tous les obstacles, rien ne semble pouvoir les séparer. C’est finalement la grande Histoire, la guerre 1914, qui va faucher leur jeunesse. Roselyne Bachelot nous offre à ce propos quelques chapitres que je trouve assez instructifs. On vit à l’arrière avec Corentine, quand beaucoup de récits se concentrent sur l’horreur des tranchées. L’annonce de la mort, l’espérance du rapatriement du corps, la perte de tout revenu, la recherche d’un nouvel emploi, l’obligation de déménager, autant d’étapes que nous vivons avec Corentine.

                Je ne souhaite pas vous en dire plus, pour que vous conserviez quelques surprises à la lecture.

II : Corentine, une lecture instructive ?

                Certains liront sûrement le livre uniquement attirés par le nom de Bachelot en couverture. L’actuelle ministre, qui ne l’était plus et pas à nouveau lors de l’écriture de ce livre, parle peu d’elle en réalité si ce n’est sur l’extrême fin du livre. Néanmoins n’oublions pas que l’histoire transmise dans les familles participe à notre construction, Corentine a donc forcément un peu contribué à la personnalité de sa petite fille. Passée cette précision, voici les raisons qui me poussent à vous conseiller cette lecture.

                Pour mes élèves amateurs de généalogie :

-          Pour lire un bel exemple d’écriture de la vie de son aïeul. Attention Roselyne Bachelot n’a pas effectué de recherches généalogiques approfondies, elle dit elle-même s’être appuyée sur les recherches de ses cousins. Son travail de synthèse et de mise en récit sont néanmoins inspirants. Même si le doute plane sur ses sources (se reporter à la partie IV de cet article)

-          Pour comprendre la situation des enfants dans les campagnes bretonnes de la fin du XIXe siècle. On comprend aisément qu’entre la loi d’obligation d’instruction et la réalité, l’application fut longue. 

-          Une bibliographie intéressante accompagne le récit pour poursuivre votre recherche sur la vie au cœur de la Bretagne, la domesticité, la vie des populations à l’arrière durant la Première Guerre mondiale.

Pour les élèves du lycée :

-          C’est déjà un livre facile d’accès. Même si je n’ai pas trouvé le style transcendant il a, au moins, le mérite de proposer une lecture accessible sur l’aurore du XXe siècle.

-          Pour compléter le chapitre du programme « Les sociétés en guerre : des civils acteurs et victimes de la guerre ».

Pour les Nantais :

-          Le parcours de Corentine passe par Nantes. C’est le moment de découvrir la vie des ouvrières, la traversée quotidienne via le pont transbordeur, les combats syndicaux, les accouchements à l’Hôtel Dieu…

 III : Serais-je restée sur ma faim ?

                J’ai eu énormément de mal à rentrer dans le récit. Je ne sais pas pourquoi, mais je m’ennuyais durant les premières pages de l’enfance de Corentine. J’ai bien fait de persévérer, vous avez compris que cette lecture est loin d’être sans intérêt. J’ai tant et si bien accroché que j’aurais bien fait un bout de chemin un peu plus long avec la bretonne.           

                Une fois Corentine rentrée à Gourin pour monter son affaire, Roselyne Bachelot expédie le demi-siècle qui reste de vie à Corentine dans un épilogue de sept pages. La vie de sa grand-mère semblait pourtant toujours passionnante. Je serais bien partante pour acheter et lire un tome deux qui détaillerait ces faits qu’elle survole. Je suis donc effectivement restée sur ma faim.

                Roselyne Bachelot fait le choix de changer certains noms, elle le signale au départ. Je pensais que c’était peut-être le cas pour des personnages secondaires, mais j’ai été surprise que ce soit par exemple le cas pour le grand amour et premier mari de Corentine. J’aurais bien aimé un petit astérisque signalant les noms qui avaient été modifiés, un détail entendons-nous bien. Le seul problème est que j’ai retrouvé le faux nom du fameux mari dans un arbre en ligne. Encore et toujours vérifier les actes, les livres peuvent mentir. Changer les noms a aussi un avantage, rendre les faits du livre quasi invérifiables si on souhaite se reporter aux actes, mais c’est une autre histoire.

Un petit tour sur Geneanet révèle effectivement l’arbre de la famille de Corentine avec les vrais patronymes chez d’autres utilisateurs. Il est très intéressant de comparer les données en ligne sur le site de généalogie et le livre. Je n’ai pas trouvé d’arbre mentionnant dans les sources de la fiche de Corentine, le livre qui lui est consacré. Par contre on trouve des informations que je n’arrive pas à lier avec le récit du livre. Plusieurs arbres indiquent ainsi qu’elle fut plumassière, un métier jamais évoqué par l’auteur.  Avouons-le, je cherche la petite bête, mais comme il y avait, fournie par un généalogiste amateur, la source évoquant cette profession, je n’ai pas résisté à aller jeter un coup d’œil.

IV : Le mariage de Corentine, la part du mythe ?  

Une fiche sur généanet proposait effectivement une image de l’acte de mariage (XIe arrondissement) de Corentine. Par curiosité j’ai cliqué et j’ai douté. Trop de différences entre le récit du livre et les affirmations de l’acte. Ça devait être une homonyme. Direction donc les tables décennales de Paris que j’ai survolées pour chercher une autre Corentine SINOU mariée en 1913. Je n’en ai pas trouvé, ni dans le XIXe arrondissement (cité dans le livre p. 142) ni ailleurs, sauf l’acte du XIe arrondissement disponible sur Geneanet. Admettons que Roselyne Bachelot se soit trompée d’arrondissement, ça arrive. Le lieu et l’année de naissance de Corentine sont justes, le prénom du père aussi.

Dans l’acte, Jules, le futur mari de Corentine n’est point employé de banque, mais mécanicien ajusteur. Passons. Ses parents sont indiqués décédés. Là, cela me pose plus de problèmes, dans l’ouvrage la place des beaux parents est primordiale, bien vivants après le mariage et même après le décès de leur fils. Jules a-t-il menti, fait de fausses déclarations à la mairie ? Je ne sais pas.

Je ne sais trop que penser de tout cela, n’aurais-je pas le bon acte sous les yeux, possible. Si c’est le cas et qu’un lecteur trouve le bon acte je supprimerai cette partie. Si, par contre, l’acte est le bon, il installe chez moi le doute. Ce livre n’est-il pas plutôt la transcription d’un mythe familial ? Si le mariage a été ainsi réécrit qu’en est-il du reste ?

Je veux croire que je me trompe. J’espère que vous serez tenté par cette courte lecture, à prendre avec des pincettes tout de même. Je souhaite vraiment que chaque lecteur se fasse un avis par lui-même, et dans ce cas précis arrive peut-être à lever mes doutes.

Un petit livre que je partagerai sûrement avec mes amis généalogistes, surtout les bretons qui trouveront là de quoi imaginer la vie de leurs aïeux. N’hésitez pas, de votre côté, à laisser votre avis ici.  

3 commentaires:

  1. Vous avez raison : j'ai recherché en vain la naissance à Nantes (4e canton, celui de l'hôtel-Dieu) de Juliette Le Bris, alias Julienne Le Bret (son véritable nom). Si j'ajoute que les chantiers de la Loire n'étaient pas encore convertis en usine d'armement au début de 1915, on touche ici à la légende.
    Cette "légende familiale" est en effet contredite par Geneanet que vous citez, puisque les arbres généalogiques qui y sont publiés donnent les éléments de biographie de Jules Le Bret (mariage à Paris avec Corentine Sinou, plumassière) et de sa fille Julienne, née à Paris en avril 1915. On pourrait penser que ces arbres (plusieurs auteurs) sont erronés, sauf que l'un d'eux est signé Jean-Yves Narquin, le propre frère de Roselyne Bachelot... Dont acte.
    Le livre en question est bien une oeuvre de fiction, à partir de souvenirs familiaux certes, mais largement remaniés voire déformés.

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    1. Merci pour ce commentaire. Je n'avais effectivement pas poussé mes recherches sur la partie Nantaise du récit. Plus j'y pense, moins je comprends la démarche de Roselyne Bachelot. Pourquoi ne pas avoir plutôt écrit un bon roman ? Je me demande souvent quel fut, finalement, le parcours véritable de Corentine ?

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    2. En effet, le doute est maintenant là sur la réalité de l'histoire. Celle de Gourin après la guerre, je la connais (liens familiaux avec des personnes ayant connu la famille, notamment Yvette Le Du) ; mais pour ce qui précède : l'enfance semble largement tirée du cheval d'orgueil qui m'est revenu en mémoire. Quant à la période parisienne, elle est probablement sujette à caution : si Corentine a pu servir comme bonne dans ne famille bourgeoise, rien ne confirme son passage dans l'hôtel particulier de la rue du Bac, lieu du décès de Chateaubriand soit-dit en passant ! On ne trouve nulle part mention d'un hôtel de Vendres... Ensuite, elle a vraisemblablement quitté sa place pour devenir plumassière à l'autre bout de la capitale, profession que sa famille ne pouvait ignorer et qui est passée sous silence par RB. Bref, matière à roman détricotée et retricotée, pour faire de la grand-mère une héroïne de la cause des femmes, bretonnes de surcroît... Bientôt au Panthéon ?

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