dimanche 27 juin 2021

L'Algérie d'Olivia Burton, un mirage familial ?

 


            Comme annoncé dans un article précédent « L'explorateur Richard Burton, un ancêtre comme les autres ? », j’ai pu lire la première bande-dessinée d’Olivia Burton. Celle-ci a consacré un autre ouvrage à sa famille. Cette fois ci direction sa branche maternelle, des pieds-noirs d’Algérie, qui lui ont transmis la mémoire du pays perdu. Je vous propose donc de découvrir cette bande-dessinée qui intéressera aussi bien mes élèves de généalogie que les futurs bacheliers. Les uns y questionneront la transmission de la mémoire familiale, les autres y exploreront le chapitre 3 du thème n°4 de leur programme d’histoire « La France : une nouvelle place dans le monde (1945-1970) ».

 

I : L’Algérie en héritage, une terre inconnue si présente

 

            Olivia Burton a toujours entendu raconter l’Algérie. Ses grands-parents et sa mère ont quitté le pays dans les tourments de la guerre d’indépendance. Olivia s’est donc bâti une Algérie rêvée et nostalgique, sans pour autant qu’elle ignore le sombre nuage qui agitait les repas de famille. La jeune femme n’a jamais vu cette Algérie mythique, et personne autour de la table n’envisage ni d’y retourner, ni d’y envoyer la jeune génération. Il est bon de s’arrêter à ce moment-là de votre lecture du livre d’Olivia. En effet, oublions un instant le contexte familial propre à l’auteur. Nous sommes nombreux à avoir hérité de régions, départements, villages que nous n’avons jamais vus. Souvent nous nous y sommes attaché, mais voulons nous nous vraiment les découvrir ? N’avons-nous pas peur d’être déçus. Pourtant, invariablement, la quête familiale du généalogiste l’emmène sur les lieux fréquentés par ses aïeux.

            Revenons-en à Olivia Burton, bercée par les récits de sa grand-mère et élevée par une mère arrivée à vingt ans en France métropolitaine. Longtemps elle n’a pas compris le rapport qui unissait sa famille à ce pays envahissant. Olivia aurait aimé avoir une famille ancrée en France métropolitaine, loin de l’obsession algérienne.  Après le décès de sa grand-mère l’idée d’un voyage en Algérie devient de plus en plus pressante pour découvrir enfin ce pays qui a façonné une partie de son enfance.

 

II : Rencontre avec Djaffar ou la découverte d’une Algérie fracturée

 

            La bande-dessinée ne relate pas uniquement la guerre d’Algérie et sa mémoire des deux côtés de la Méditerranée. Le livre va plus loin en proposant aussi un portrait du pays des décennies après l’indépendance. En effet la famille d’Olivia fait tout pour la dissuader de partir réaliser ce voyage, car les anciennes générations sont autant bercées par la nostalgie que par un tableau très sombre d’une Algérie postcoloniale ravagée par la violence.  

            Olivia arrive donc dans un pays secoué par des tensions internes très importantes. Son seul guide est un contact, Djaffar, un Algérien plus tout jeune, qui lui fait découvrir son Algérie avec un certain recul. Frère d’une amie de sa mère, il sert de pont narratif entre l’Algérie française d’avant 1962, et le pays instable que visite Olivia. Cet homme, incapable de lire l’arabe puisqu’il est allé à l’école française avant l’indépendance, porte un regard critique sur la mémoire de la guerre. Il est introduit dans le récit via son réquisitoire contre le musée des martyrs. Tout au long du voyage, cette figure apporte une dimension au livre que le seul regard d’Olivia n’aurait pas pu donner.

            A la version de Djaffar s’ajoute celle d’autres habitants du pays, natifs ou non de ce rivage de la Méditerranée. On en profite pour faire découvrir aussi les problématiques contemporaines, comme l’éducation des filles, les routes coupées, les doutes sur l’identité des forces de l’ordre…

            La fille et petit fille de pied-noir, réussit donc, via un récit très personnel, à faire entendre différentes voix, parfois discordantes. Elle évite ainsi l’écueil d’un récit autobiographique n’offrant qu’un seul point du vue. Sur des questions de mémoire aussi primordiales, il est en effet nécessaire d’offrir aux lecteurs plusieurs pistes de réflexion.     

 

III : Pied-noir, une identité multiple

 

            La quête d’Olivia la mène dans les Aurès et dans les villages où ont prospéré ses ancêtres venus trouver une vie meilleure en Algérie. Entre les souvenirs familiaux et les traces laissées par le passé, la descendante de ces pionniers découvre un fossé. La visite des lieux, aussi bien à la campagne qu’à Alger, provoque surprise et émotion.

            Le passage au cimetière du village, saccagé, dévasté, est un moment particulier pour les amateurs de généalogie. Ici il n’est pas question d’une concession reprise trop tôt ou de l’absence de descendant qui provoque la disparition de cette mémoire minérale. Les pierres tombales ont aussi payé le prix de la guerre et leur abandon raconte la blessure des familles définitivement séparées de ces lieux intimes de mémoire.

            Au terme de ses rencontres, Olivia a une discussion intéressante avec son guide, arrêtez-vous à la lecture sur ce passage. On y perçoit toute la complexité de définition du pied-noir. Le retour à Paris et la discussion avec sa mère sont assez éclairants. Olivia a trouvé des réponses et a surtout pu se construire sa propre vision de l’Algérie.  

 

            Si ce premier travail familial d’Olivia Burton ne vaut pas, à mes yeux, son deuxième récit « Un anglais dans mon arbre », il reste intéressant. Le retournement final étant bien plus faible que dans sa bande dessinée sur la branche paternelle Burton. Quant au graphisme que je n’ai pas évoqué, moi qui suis allergique au noir et blanc, la quasi absence de couleur ne m’a pas gênée.

C’est une bonne lecture de vacances pour préparer par exemple « La guerre d’Algérie et ses mémoires », axe d’étude suggéré dans le programme de terminale générale. Pour les élèves de généalogie, il intéressera surtout les personnes ayant leur histoire familiale ancrée dans la guerre d’Algérie. N’hésitez pas à me conseiller d’autres bandes-dessinées sur ce thème en commentaire et à laisser votre avis sur celle-ci.

 

            A bientôt

 

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