vendredi 11 novembre 2022

"Grandes vacances 14/18", testament mémoriel d'une enfant de la grande guerre



            Chaque 11 novembre je souhaite vous proposer un article lié à la grande guerre et à ses mémoires. Je vous avais précédemment présenté un Mooc et un film.  C’est durant l’été que j’ai découvert un texte très particulier que j’attends avec impatience de vous faire découvrir : Grande vacances 14/18 de Jeanne Lebrun. Née en 1903, Jeanne va vivre une adolescence en zone occupée. En effet, on l’oublie souvent mais lors de la première guerre mondiale, une part des civils français se sont trouvés sous occupation allemande. L’occupation n’est pas un terme réservé à la Seconde Guerre mondiale. Avec Grandes vacances 14/18 Jeanne Lebrun souhaite témoigner de ces années passées à Corny. Institutrice de profession, la vieille dame sait la nécessité de témoigner pour les enfants des générations à venir. Ecrit dans les années 1980, le texte est destiné aux enfants des années 2000. Il semble intéressant de le rappeler à notre bon souvenir en ce jour de commémoration.

            La guerre de Jeanne et de son jeune frère Louis, c’est celle de deux jeunes ardennais que les circonstances de l’exode font atterrir dans la maison vide de leur grand-père. Ils y arrivent avec les femmes de la famille, leur grand-mère, leur tante et leur mère. La vraie maison des enfants, à une douzaine de kilomètres, n’est plus que ruine, leur père a été mobilisé, et le grand père qu’ils aiment tant est parti les croyant déjà loin du danger. Les cinq membres de la petite famille vont passer la guerre derrière le front allemand, une guerre à l’arrière sous le joug d’une armée ennemie. Jeanne le dit ainsi « Nous ne connaîtrons de la guerre […] que les ennemis au repos, qui pensent à leur familles, qui sont heureux de voir des enfants, qui repartent au front l’angoisse au cœur. » (p.15). C’est là toute l’originalité du témoignage, une vie quotidienne à l’heure allemande où il faut faire des compromis, admettre que les ennemis sont aussi des hommes.

            L’ambiance, le travail dans les champs pour produire des denrées pour les allemands, les appels matinaux sur la place, Jeanne nous raconte de façon désordonnée ces années terribles. Terribles, le mot me semble bien choisi quant à la teneur de la période. Pourtant le texte est empli d’une fraîcheur, celle de l’enfance qui se prolonge malgré tout. Chaque chapitre est la plongée dans un instant, un souvenir, cela rend le discours un peu décousu à la façon des livres d’autrefois comme Les malheurs de Sophie dont finalement on pouvait grignoter un épisode ici ou là. Certains titres de chapitres fleurent bons effectivement ces récits d’enfances campagnardes « La mare », « La cassonade » ou « le nid des loriots ». Néanmoins le cœur de ces mémoires c’est la guerre et le rôle des enfants devenus travailleurs loin de l’école.


            Car elle est là, en partie, l’explication cruelle du titre, Jeanne et Louis comme tous les enfants de Corny n’ont plus la possibilité d’aller à l’école. La guerre des enfants que j’ai souvent vu racontée dans les livres ou dans les expositions, c’est l’absence du père ou la présence de la propagande, notamment à l’école de la République. Ici la scolarité n’est qu’accessoire, en pointillé comme le rappelle à la fin le chapitre, p.87, « Et l’école ? ». Les premiers temps de guerre on se débrouille, les deux enfants ont le privilège d’avoir des ressources à la maison puisque le grand-père absent était instituteur. Les enfants en plus dévorent les romans de la petite bibliothèque ainsi que le Larousse. Viendra une classe à mi-temps puis un ersatz de certificat d’étude. Pour autant quand se terminera la guerre Jeanne mesurera le fossé avec les petits français qui ont vécu de l’autre côté du front.

            De l’exode de 1914 aux conséquences de l’armistice, les textes de Jeanne Lebrun s’inscrivent dans la collection des témoignages à notre disposition pour nous souvenir. J’ai lu, collégienne, des textes très émouvants comme Paroles de Poilus. Néanmoins en finissant le très court livre de Jeanne Lebrun, j’ai eu l’impression de parcourir une guerre qu’aucun autre document ne m’avait donné à voir : la guerre en zone occupée à hauteur d’adolescent. Ce texte a aussi la particularité d’avoir été écrit pour des jeunes qui naîtraient bien après le décès de l'auteur. 


            Il convient alors de se souvenir qu’entre les témoins et la jeunesse, les générations intermédiaires peuvent être plus qu’un spectateur. Nous pouvons être des passeurs. A nous de proposer la lecture, peut-être pas entière mais au moins d’extraits, du témoignage de Jeanne. Vous peinerez peut-être à trouver le livre puisque, malheureusement il n’est plus édité. Fouillez les bibliothèques (il est consultable à Nantes) et les bouquineries pour y accéder. On regrettera que le titre n'ait pas connu d'édition depuis 1993. Jeanne l'avait pourtant, elle le dit, écrit pour les écoliers le l'an 2000.

            Je vous souhaite à tous une lecture enrichissante

      

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