Voici
une nouvelle rubrique pour rouvrir le blog : le nœud du problème. Je vous
propose des enquêtes autour de documents historiques, des exemples concrets de
démarches qui peuvent vous inspirer dans vos recherches généalogiques. Ce sera
parfois l’occasion de proposer à d’autres passionnés de vous présenter leur travail.
C’est le cas pour ce premier numéro, puisque c’est la démarche d’un membre des cartophiles du pays nantais
que nous allons exposer.
Un papier, différent, est déjà paru pour signaler cette carte postale dans le bulletin N°140 de janvier 2023 de l’association des cartophiles.
Patrick Perraud acquiert une carte
postale colorisée pour sa collection nantaise. Elle représente l’ancien Palais
de Justice, aujourd’hui hôtel Radisson. Notre enquêteur décide de la dater le
plus précisément possible. Voici les différentes démarches qu’il a dû mener
pour trouver l’année d’édition et d’envoi. Aucune date ne figurant sur la carte,
le défi était de taille.
Point n°1 : Qui crée le
document ? Quel procédé a été utilisé ? Il convient en premier
lieu, sur ce type de document, de s’intéresser à la marque, à l’imprimeur ou au
distributeur. Patrick relève donc le logo « L.V. & Cie » qui correspond à «
Léopold Verger et Cie » qui a été fondée le 10 juillet 1895, au 161 boulevard Ornano
à Saint-Denis pour l'usine et 61 faubourg Poissonnière à Paris pour les Bureaux.
Pour trouver ces différentes informations, Patrick a recours à différents sites
spécialisés dans les cartes postales anciennes. Vous pouvez consulter cet
article qui lui a permis de récolter ces données : CHMURA Sophie, « Rennes en couleurs 1900-1920 », cartes-postales de Rennes ou d'ailleurs, mis en
ligne le 21 mars 2019. Premier indice,
nous savons désormais que la carte est postérieure à 1895. A l’aube du XXe
siècle, les techniques ont largement évolué dans la production de plus en plus
massive des cartes postales. Sur l’exemplaire qui nous intéresse, il est fait
mention du procédé de coloration « Aqua photo » qui permet de situer
la série dans les productions de L.V. et Cie.
Point
n°3 : La dénomination des lieux peut-elle réduire la période de
recherche ? Au dos des cartes postales, on trouve presque
toujours des informations plus détaillées sur les lieux présentés.
Malheureusement ici, pas d’indication. Ceci nous aurait été utile puisque cette
place a changé de nom en 1932 pour passer de Lafayette à Aristide Briand.
Oublions donc cette piste.
Point
n°4 : Qu’offre le monument, sujet de la carte, comme
indication? La plupart du temps les bâtiments sont le premier
élément de datation. Intitulée « Palais de justice », la légende
rappelle la première fonction de ce bâtiment. Aujourd’hui les institutions
judiciaires ont toutes intégré le moderne complexe de Jean Nouvel (2000). Le
monumental Palais de justice de la carte postale fut inauguré en 1852. 150 ans
c’est donc un peu vaste pour resserrer la recherche de Patrick. Il y pourtant
un détail que relève le Nantais, l’absence des Lions. Si vous ne les avez pas
connus, ce détail ne vous aura pas sauté aux yeux. Cela rappelle l’importance,
si le monument identifié ne vous est pas familier, de comparer immédiatement
les images d’archives déjà datées. Les recherches de Patrick lui apprennent que
les deux grands lions en façade avaient été installés en 1919 [article du
"Phare de la Loire" en date du 19/06/1919]. Bien que fondus durant la
Seconde Guerre mondiale, ils avaient été remplacés par des équivalents en
pierre. Nous savons donc que notre image a été captée avant cette
année-là.
Nous [nous ?] languissons, tu
n’a[sic] pas écrit depuis deux semaines, nous cr**gnons que tu sois malade.
Maman ira te voi* mercredi où[sic] jeudi prochain. A cette croix que tu vois
sur cette carte de Nantes. on a guillotiné un* homme samedi dernier.
Nous t’embrassons bien fort.
Alfred. »
Patrick
se lance donc à corps perdu dans la presse ancienne. Mes amis généalogistes
savent combien, moi aussi, j’ai souvent recours à cette source. Il faut faire
usage d’un autre site, souvent connu des généalogistes avertis : laveuveguillotine.pagesperso-orange.fr. Les éloges de cette page ne sont plus à faire. Le
site recense, autant que faire se peut, les personnes guillotinées entre la
Révolution et l’abolition en 1981. Patrick épluche donc le site et commence à
trier les exécutions nantaises. La plupart étant réalisées place Viarmes [avec
un « s » à l’époque], le nombre d’exécutions pouvant correspondre
diminuent drastiquement. Place Lafayette, il n’y a eu que cinq
guillotinés : en 1911, 1919, 1920, 1947 et 1951. A l’aide des calendriers,
il n’est pas très difficile pour Patrick de trouver la seule ayant eu lieu un
Samedi. C’est celle d’un récidiviste pour faits de meurtres, viols, vols et
autres, son casier est détaillé sur le site « la veuve guillotine ».
Il s’agit du soldat Jules Grand, guillotiné le samedi 25 mars 1911.
La carte a donc été imprimée avant 1911 et a été
probablement envoyée durant la semaine du 27 mars.
Vous
aurez sûrement l’occasion de découvrir des cartes postales dans vos archives
familiales ou lors de pérégrinations dans les brocantes ou vide-greniers. C’est
un exercice que vous pouvez aussi faire pour vous entraîner en généalogie,
prendre une carte au hasard et remonter la piste. Alors bien sûr, nous ne
saurons rien d’Alfred et Gustave, une petite frustration pour les généalogistes
que nous sommes.
Avez-vous mené des enquêtes similaires ?
Bonnes recherches à tous
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire