samedi 21 décembre 2024

« Alma », une course sur l’Atlantique à n’importe quel prix.


                Chose promise dans le dernier article, chose due. Je vous propose une lecture sur l’époque révolutionnaire. C’est une belle série romanesque, découverte durant l’été, que je conseille désormais à mes élèves comme aux adultes que la période révolutionnaire intéresse. Je n’avais jusqu’ici jamais lu un livre de Timothée de Fombelle, auteur pourtant bien installé dans le paysage français ; c’est avant tout pour rencontrer son écriture que j’ai commencé cette série. Les premières pages ont mis un peu de temps à me conquérir mais ensuite j’ai dévoré les 3 tomes.

                L’ouvrage commence en 1786 et va suivre toute une galerie de personnages, dont Alma pour qui la vie a débuté dans une vallée isolée de l’Afrique. Si elle donne son nom au roman, de nombreux destins se croisent et sont autant de fils conducteurs que nous suivons : Joseph, jeune marin sur un navire négrier, Amélie, fille d’un armateur rochelais, Poussin, le charpentier de marine, l’ambitieux Saint Ange, le mystérieux Mosi chasseur d’esclaves devenu proie à son tour, le terrible capitaine Gardel ... Avec-eux, le lecteur court d’un continent à l’autre autour de l’Atlantique, guettant avec impatience leur rencontre même si bien souvent leurs vies ne font que se frôler. A cela s’ajoute une chasse au trésor où tous les coups sont permis.

                Le premier tome « Le vent se lève » dresse avant tout un portrait complet du trafic triangulaire et de ses acteurs. Timothée de Fombelle offre un maximum de points de vue. Il propose par exemple, ce qui assez rare en littérature jeunesse, celui des chasseurs d’esclaves qui se déchirent en Afrique. Il s’intéresse aussi au rôle des marins les plus modestes sur les navires négriers : paysans égarés n’ayant jamais navigué, homme d’origine africaine ou encore mousse déjà très expérimenté comme Joseph Mars. Quand nous nous retrouvons au fond des cales, avec les captifs, nous connaissons leurs histoires, leurs captures, mais aussi la peur qui habite les marins sur le pont. Ce tome est particulièrement réussi, car, de la Rochelle aux Antilles, nous comprenons les mécanismes qui permettent à ce système économique cruel de fonctionner.


                Le deuxième tome est plus complexe, il se concentre désormais sur deux grands thèmes : le fonctionnement des plantations (ici Saint Domingue et la Nouvelle-Orléans) et la montée des mouvements abolitionnistes en Europe (Royaume-Uni et France). Nos personnages adolescents grandissent et s’endurcissent. L’instabilité politique gagne tous les pays où nous suivons nos héros désormais éparpillés. Là encore, les personnalités ambiguës ne manquent pas et on n’hésite pas à supprimer purement et simplement ses ennemis. Pourquoi ne pas faire enfermer un adversaire sur un bateau, direction les bagnes australiens de la couronne anglaise ? C’est dans ce tome que les intentions de chacun deviennent plus nettes pour le lecteur, éclairant largement les actes du premier tome.

                Le troisième et dernier livre nous projette violemment dans le Paris de 1789, où nous irons jusqu’à participer à la prise de la Bastille. Le temps a passé, depuis le premier tome, et nos personnages deviennent adultes et doivent désormais assumer les conséquences des choix faits les années précédentes. Les personnages principaux n’ont aucune intention de participer à la Révolution, seuls leurs différents projets et vengeances personnels les motivent. Timothée de Fombelle présente toute la complexité de la Révolution et les milieux qui tentent de tirer profit de la situation pour faire affaire, peu importe l’ordre (Clergé, Noblesse, Tiers-Etat) auquel ils appartiennent. L’auteur réalise le tour de force de clore les destinées de ses personnages principaux en refermant l’histoire sur la Révolution Haïtienne sans nous laisser sur notre faim.    

                Résumer cette saga sans la trahir est presque impossible, on ne peut en montrer l’étendue. Parfois presque trop touffu, le récit de Timothée de Fombelle est un voyage qu’on regrette de terminer, car mille fils semblent encore à tirer. Il faut pourtant bien savoir s’arrêter. En ayant donné à voir le trafic triangulaire dans toute sa complexité, il permet aux jeunes et aux adultes d’éviter l’écueil d’une lecture trop simpliste de la période. L’édition grand format est, en plus, de belle qualité et assez attirante grâce à des couvertures réussies.

                Je réalise à cette occasion que ma bibliothèque personnelle n’est pas très fournie sur la période révolutionnaire. Cette série, pourtant n’est pas sans m’en rappeler une autre : Sous le Vent de la liberté de Christian Léourier, dont le héros,  Jean de Kervadec, vivait sur les mers, puis chez les indiens d’Amérique, avant de revenir dans un Paris en plein chaos révolutionnaire. N’hésitez pas à vous la procurer si vous avez aimé Alma, vous compléterez ainsi ce tableau de la fin agitée du XVIIIe siècle. Ici c’est un portrait de la guerre d’Indépendance américaine et une exploration des territoires nord-américains qui n’apparaissent presque pas dans la série de Timothée de Fombelle. Les deux récits s’avèrent complémentaires.  

                J’espère que vous tenterez l’aventure Alma et vous embarquerez à votre tour sur le navire « La douce Amélie », autre personnage central dont je vous laisse découvrir le rôle clef en ouvrant ces pages.

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