Pour
l’article de la rubrique « Mince alors… » du mois d’octobre, nous
allons nous pencher sur les prénoms. Cela s’inscrit dans la suite logique de
l’article de la même catégorie « Mon nom de famille n'a pas d’orthographe
? ». Si vous avez bien compris que le nom de famille change au fil du
temps et des déplacements, le prénom peut lui aussi être un sacré casse-tête
pour le généalogiste. Beaucoup de débutants, à commencer par moi, en ont fait la
drôle d’expérience au fil de leurs découvertes dans les recensements et dans
l’état civil. Nous allons donc essayer de comprendre pourquoi d’un document à
l’autre, une seule et même personne se trouve prénommée de différentes façons. Avant
cela, il faut tout de même questionner les conditions de l’attribution du
prénom de nos ancêtres.
[Toutes les références indiquées dans cet article sont disponibles en ligne]
Pour commencer : Analyser le prénom
problématique.
Question n°1 : Ai-je à faire à un prénom ? Il
faut bien comprendre ce que nous appelons un prénom. On distingue donc le ou
les prénoms officiels, le prénom d’usage et le surnom. Nous verrons que cette
courte question est primordiale et déterminante pour la suite de cet article.
Notons dès maintenant que le surnom n’apparaît presque jamais dans l’état
civil. Il peut par contre vous poser problème s’il est utilisé dans un article
de journal ou une correspondance privée par exemple. Il arrive qu’un surnom
puisse être mentionné dans les fiches matricules.
Le
prénom lui-même n’est pas d’une définition évidente. Philippe Dumas[1],
dans un chapitre consacré au choix des prénoms dans l’Ancien Régime, a souligné
la difficulté de définir cet objet d’étude. Notez, entre autres, que le prénom est
rarement solitaire dans l’état civil. Retenez bien ce problème, il expliquera
bien des soucis évoqués en deuxième partie de cet article. Sur un acte de
naissance, comment savoir s’il s’agit d’un prénom composé ou de deux prénoms
séparés. Quel prénom utilisaient les multiples petites Marie Louise de mon
arbre ? Notez tout de même que longtemps les sujets du royaume de France
ne donnaient qu’un prénom à leurs enfants comme le rappelle Baptiste Coulmont
dans son article intitulé « Les prénoms invisibles »[2].
Cette mode des multiples prénoms ne naît d’abord que dans les couches sociales
aisées du XVIIe siècle avant de se diffuser dans les différentes strates de la
société. Ma famille maternelle marche à l’envers de l’histoire, depuis quatre
générations on n’y donne plus qu’un seul prénom au nouveau-né, moi incluse. La
multiplication des prénoms a donné aux parents la possibilité de passer outre
certaines contraintes traditionnelles familiales sur lesquelles nous allons
nous pencher.
Question n°2 : Le prénom, un héritage
familial ? Quel passionné de généalogie ne s’est pas heurté à une
lignée de porteurs de même nom et même prénom sur une branche ? Souvent le
fils aîné se trouve héritier du prénom du père dit-on. Mes aïeux bretons sont
assez peu friands de cette transmission du prénom du père aux aînés, néanmoins
rendu au cinquième ou au quatrième enfant, on finit par l’utiliser. Cela donne
par exemple un Jean Laurens né en 1742 qui nomme deux de ses enfants Jean
(n°6 et n°8 dans la fratrie), je descends de Jean né en 1777. Ce dernier, parmi
ses quatorze enfants, nommera son deuxième enfant et premier fils Jean Marie et
son cinquième enfant Jean (1808-1875). Ce petit Jean aura à son tour huit
enfants et attendra le cinquième pour le nommer Jean Marie. On va s’arrêter là, quatre générations donnent
un bon exemple. Le choix de Jean est-il vraiment le fruit d’une transmission du
prénom paternel ? « Jean » c’est un peu l’indémodable
durant des décennies. Comment les historiens analysent-ils la transmission des
prénoms ?
Durant l’Ancien Régime : Dans les
faits c’est souvent, sans être systématique le prénom des parrains ou marraines
qui échoit en premier lieu à l’enfant. Il se trouve que parfois le grand-père
ou l’oncle étant désigné parrain, c’est celui-ci qui transmet son prénom, d’où
parfois des répétitions familiales accentuées. C’est aussi, selon P. Dumas, de
là que découle l’attribution d’un prénom habituellement féminin à certains
garçons et vice-versa. On choisit alors les parrains et marraines sans savoir
le sexe de l’enfant à naître, le prénom est donc déjà prédéterminé. Globalement
les prénoms sont alors choisis parmi les saints et autres personnages bibliques
même si dans certaines classes sociales, on se risque au XVIIIe siècle déjà à
quelques inspirations antiques.
Après la Révolution : On note très progressivement un léger changement
avec une transmission moins systématique des prénoms familiaux (père, mère,
parrain, marraine). Néanmoins, le poids des traditions est encore très présent,
combien de repas de famille sont encore nourris par le récit des hautes luttes
des parrains et marraines pour transmettre leur prénom. Plus concrètement les
prénoms familiaux sont encore transmis aux enfants en priorité durant des
décennies. Eu début du XXe siècle cette tendance était en baisse, mais c’était
sans compter la Grande Guerre. Comme le rappelle Baptiste Coulmont dans son
article titré « Mon père, ce héros ? », la guerre a relancé la
transmission père/fils du prénom. Plus encore, l’auteur souligne la grande
place des prénoms des oncles morts à la guerre. Ici, l’hommage et le maintien
du souvenir ne font aucun doute, c’est un des rares cas on l’on peut être quasi
certain des motivations du choix parental.
Dernier
point important, même si le cas est relativement rare, après la Révolution, on
peut avoir, en théorie, un acte de naissance et un acte de baptême sous des
prénoms différents pour une seule et même personne. Un vrai cauchemar
généalogique !
Question n°3 : Le prénom du nouveau-né est-il en vogue ? Aujourd’hui comme hier il y a des modes dans la distribution des prénoms de baptême. Il convient donc de s’informer sur leurs fréquences. En France, avant la Révolution, P. Dumas rappelle que deux tiers des filles se voyaient attribuer « Marie », parmi les prénoms de baptême. Cette tradition ne s’est pas perdue, mon arrière-arrière-grand-père avait ainsi nommé ses six enfants (nés entre 1876 et 1889) : Marie Françoise, Marie Olive, Alain Marie, Anne Marie, Jean Marie et Jean Yves Marie. Il reprenait en cela la tradition familiale puisque sa fratrie était composée comme suit : Olivier Marie, Marie Jeanne, Alain Marie, François Marie, Jean Marie, Yves Marie, Marie Anne et Jacques Marie. Aujourd’hui encore la présence du prénom « Marie » est systématique dans certaines familles. Toutes les études s’accordent aujourd’hui sur le fait que le stock de prénoms n’a eu de cesse, depuis la Révolution, de s’étendre, déclassant progressivement les Jean et les Marie si prisés autrefois. Toutefois ils sont loin d’avoir disparu.
Intéressez-vous donc aux prénoms à la
mode dans les années de naissance de vos aïeux, à partir de 1900 les
statistiques sont facilement accessibles. Attention toutefois, transmises par
l’INSEE, elles se sont pas exemptes d’erreur, j’ai trouvé des prénoms dits
disparus alors qu’ils étaient seulement très rares. Les effets de mode sont anciens
et touchent même les familles relativement éloignées des centres culturels. Ma
grand-mère s’appelait Denise, elle était née dans un lieu-dit du Moulin du Roy,
son père n’avait quitté son pays que pour son service militaire et sa mère
n’avait jamais quitté le département. Elle se vit pourtant, en cette année
1927, attribuer l’un des cinq prénoms féminins les plus populaires cette
année-là. Jamais porté auparavant dans la famille. Ne pensez donc pas que la
mode se cantonne à des cercles fermés, si la tradition pèse et est bien présente,
les parents ne sont pas seulement influencés par leur famille. Un dernier point
d’attention, P. Dumas a rappelé que l’attribution du prénom de la personne à la
tête du pays (souverain ou empereur par exemple) n’est pas une motivation qui
ressort dans les statistiques. Si le sujet vous intéresse vous pouvez vous
pencher sur un exemple précis avec «L’attribution du prénom Philippe au temps
de Vichy » qui s’interroge sur la popularité du prénom
« Philippe » alors que le maréchal Pétain gouvernait la France[3].
Cerner
l’usage du prénom en un court
article est impossible, j’espère néanmoins que cette première partie vous aura
déjà poussé à porter un regard plus attentif sur les prénoms que vous croisez
et à vous interroger sur leur place dans la vie de vos ancêtres. Venons-en
maintenant au cœur de notre problème, les personnes qui, à défaut de changer
totalement d’identité, égarent le généalogiste en jonglant avec différents
prénoms.
Pour poursuivre : Quelles pistes pour expliquer
un changement de prénom ?
Piste n°1 : Votre ancêtre a utilisé les différents prénoms, présents à l’état civil, durant sa vie. Mes deux grands-pères s’appelaient Marcel. En réalité, l’un s’appelait Marcel Georges et a donc utilisé son premier prénom. Mon deuxième grand-père a hérité de quatre prénoms : Francis Marcel Jean Marie. On notera donc qu’il a privilégié, dans sa vie privée son deuxième prénom. Il est loin d’être le seul de mes sosas à avoir jonglé avec ses différents prénoms durant sa vie, je trouve de ces plaisantins à toutes les époques. Pensez donc bien, une fois son acte de baptême en main, à chercher votre ancêtre sous tous les prénoms que vous lui connaissez.
Né en 1921, Francis Guihéneuf a toujours utilisé le prénom de Marcel, seul le facteur l'appelait Francis. |
Piste
n°2 : Et si votre aïeul utilisait un prénom qui ne figure nullement à
l’état civil ? Hier comme
aujourd’hui, de nombreuses personnes ont un prénom usuel qui ne figure nulle
part à l’état civil, qui n’est même pas un diminutif. J’ai connu une Germaine,
appelée ainsi au quotidien, dont beaucoup n’ont appris son prénom
« officiel », à savoir Francine, qu’à son décès. Pensez-y quand vous
recherchez dans les avis de décès.
C’est aussi ceci qui rend les
recensements parfois plus ardus à consulter, car l’agent recenseur retranscrit
le prénom qui lui est donné, le plus couramment porté par l’intéressé. Voici
donc pourquoi vos ancêtres changent parfois de prénom d’un recensement à
l’autre.
Les raisons de ces changements au
quotidien sont parfois le fruit d’une homonymie dans le hameau, de l’imposition
d’un prénom de baptême qui déplaisait aux parents, d’un prénom devenu difficile
à porter. Les causes sont multiples et resteront souvent mystérieuses.
Piste
n°3 : Le prénom aurait-il une orthographe instable ? Outre le problème de la traduction des prénoms dans
les actes, du latin au français, durant toutes vos périodes de recherche, vous
serez confronté au problème de l’orthographe. Le prénom est parfois, dans les
actes, transcrit de manière variée, plus je remonte dans mon arbre, plus mes
aïeux répondent alternativement aux prénoms de « Jean » ou
« Jan ». La question se corse dans le cas d’une traduction qui
entraîne parfois la modification du prénom, en premier lieu du latin au français.
Vos Louis seront Ludovicus dans les actes en latin. Plus récemment vous
assisterez à des traductions dans le cadre des migrations de vos aïeux, par
exemple certains prénoms sont francisés. A l’inverse, une branche ayant
traversé l’Atlantique aura souvent anglicisé ses prénoms et Jean sera souvent
devenu John.
Piste
n°4 : Votre ancêtre a souffert de l’héritage révolutionnaire ? Cas rare, mais qui est intéressant à relever. Des
prénoms « républicains », non-issus du calendrier traditionnel
catholique font leur apparition à la Révolution. Ils sont souvent l’occasion de
sourire lors des recherches généalogiques. L’article « Un prénom parmi
d’autre » de Nat sur le blog généalogique parentajhamoe.fr
à propos d’un prénommé Laurier vaut ainsi le détour. L’auteur souligne que le bébé
devenu adulte s’appelle désormais « Louis ». Plus facile à porter
sûrement. Vous approchez de la Révolution ? Pensez donc à ce cas, votre
aïeul marié dans les années 1830 est peut-être né sous un prénom trop connoté à
son goût. A partir de 1803 en effet, il fut possible de faire une démarche pour
changer un prénom de ce type. A partir de cette date, le calendrier catholique
et l’Eglise reprennent progressivement la main. Si le cas des prénoms révolutionnaires
vous intéresse, vous ne manquerez pas de ressources tant on a glosé sur le
sujet.
Piste
n°5 : La personne qui vous intéresse est rentrée dans les ordres. Les religieux en généalogie donnent souvent du fil
à retordre. J’ai ainsi mis du temps à faire le lien entre Marie Célestine
Lethiec dont je perdais la trace dans les recensements, et la Sœur Adrienne
évoquée dans la correspondance de son neveu. N’omettez pas ce cas de figure, en
effet même pour les recherches dans la presse il est primordial de connaître
les différentes pré nominations d’une personne.
Piste
n°6 : L’objet de vos recherches a pris un nom de scène. Les artistes, écrivains, chanteurs, acteurs,
évoluent souvent sous un nom d’emprunt. Parfois, celui-ci noie définitivement
leur identité à l’état civil dans les limbes de l’oubli. Pensez donc, si la
profession de votre aïeul se prête à ce type de changement, à vous renseigner
sur les noms de scène ou de plume qu’il aurait pu utiliser. Rappelez-vous, dans
mon dernier article, j’évoquais « La cascadeuse des nuages ». Née
Elisa Deroche elle se fera en réalité appeler Baronne Raymonde De Laroche sur
les terrains d’aviation et dans la presse. Il convient donc de bien connaître les
différentes appellations selon les milieux où il a évolué.
Au
fil de vos promenades généalogiques vous
accumulerez des dates, des lieux, des enchaînements de noms mais aussi et
surtout des prénoms. On ne s’attarde pas assez sur cet élément en généalogie,
le nom dominant nos recherches. Les motivations quant au choix du prénom sont
difficiles à identifier, et resteront souvent au stade de l’hypothèse alors que
le généalogiste aime la précision et la confirmation d’une source. Sauf cas
exceptionnel, comme pour le choix du prénom du futur Napoléon III[4],
vous peinerez bien à comprendre ce qui a prévalu à un tel baptême.
Le fait que le prénom soit instable,
quoique moins que le nom de famille finalement, ne doit pas nous surprendre.
Son usage, hier comme aujourd’hui, est quelque chose de très personnel. Avec le
prénom, le surnom, le diminutif, nous rentrons dans la partie intime de la vie
de ceux qui nous ont précédés. Un prénom différent dans un recensement ou un
article de presse nous contrarie parfois dans nos recherches. Nous y voyons un
obstacle, alors que c’est souvent une richesse, car nous découvrons ainsi le
prénom usuel de nos ancêtres.
J’espère que ce nouvel article vous aura
éclairé et je vous donne rendez-vous très bientôt pour de nouveaux conseils.
[1] Daumas,
P. 2003. Chapitre VI. Entre contrainte et liberté : Le choix des prénoms.
In Familles en Révolution : Vie et relations familiales en
Île-de-France, changements et continuités (1775-1825). Presses
universitaires de Rennes
[2] Baptiste
Coulmont. « Des prénoms invisibles ». La lettre de l’enfance et de
l’adolescence, Érès, 2012, 87,
pp.23-28.
[3]
Cousin, Bernard. “L’attribution du prénom Philippe au temps de Vichy”. Attard-Maraninchi,
Marie-Françoise, et al.. Engagements : Culture politique, guerres,
mémoires, monde du travail. XVIIIe-XXIe siècle. Aix-en-Provence :
Presses universitaires de Provence, 2016. (pp. 291-298)
[4] Le
Carvèse, P. (2012). Napoléon III, un futur empereur au prénom incertain. Napoleonica.
La Revue, 13, 78-90.
Bonjour,
RépondreSupprimerGénéalogiste amateur, je découvre votre blog dont le lien est sur le compte facebook de "généalogie Yonne 89". Simplement je confirme dans l'histoire des prénoms que mon père Albert Bernard pour l'état civil a toujours été nommé Bernard car un Albert de même nom de famille (et "proche cousin") vivait dans le même village de 300 âmes. C'était hier, au début du 20ème siècle, né en 1921!
Un plaisir de vous lire!
Merci pour votre commentaire, je ne savais pas que mon article avait aussi été publié sur ce groupe. lLe problème des prénoms est loin d'avoir disparu comme vous le soulignez.
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