Monument aux morts de la ville de Saumur, inauguré en 1923. |
Un blog consacré à l’histoire pouvait-il passer à côté d’un article « 11 novembre » ? Pas vraiment. Les sujet ne manquent pas. L’année passée je vous avais parlé du cours en ligne « Verdun d’hier à aujourd’hui ». Ce jour, j’avais envie de m’attarder sur les suites de la guerre, car le 11 novembre 1918 on ne signe qu’un simple papier, j’exagère un peu. Pourtant pour les Français, la guerre n’est pas terminée. J'ai visionné, pour la première fois, le film La vie et rien d’autre, sorti en 1989. Vieux de trente ans, le film a fait écho à quelques autres long- métrages plus récents que j’ai pu voir et qui évoquent les années qui suivent la guerre.
Il me semblait intéressant de vous proposer quelques références pour prolonger la discussion avec les jeunes de 3e et 1ere dont les programmes s’intéressent à la Première Guerre mondiale. Ces références peuvent aussi nourrir le travail des généalogistes en quête d’une meilleure compréhension des conséquences du conflit dans le quotidien des familles.
I : Les disparus au front, la quête silencieuse des
proches
Si La vie et rien d’autre pèche par quelques approximations historiques,
comme ce fut souligné dès sa sortie[1], il reste
une porte d’entrée très intéressante et relativement bien documentée. Bertrand
Tavernier offre un film non pas sur la guerre de tranchée mais sur les
disparus. Pas une seule scène ne se déroule durant le conflit. Le récit s’étire de 1920 à 1922, avec une autre guerre, le but étant à la fois d'apaiser les
familles et de refermer administrativement le chapitre des disparus au front. Différents personnages se croisent et offrent une
multitude de portes d’entrées thématiques. Ainsi, avec la jeune Alice, nous
sommes directement confrontés au retour des hommes à leur poste, que les femmes
ont tenu toute la guerre. Pour elle aussi il faut envisager une vie loin de sa classe, elle est une victime collatérale de la reconstruction
de la France. Autre milieu, autre quête en apparence, en suivant les pas d’Irène de Courtil. On assiste aux
multiples procédures possibles, à condition d’en avoir les moyens et le poids
politique, qui s’offrent aux femmes figées dans cet entre-deux insupportable : ni veuves, ni assurées du retour d’un mari. Si la guerre, du point de vue des
femmes qui attendent le retour des hommes retenus au front, vous intéresse,
pourquoi ne pas regarder Mémoire de
Jeunesse ? Inspiré de l’autobiographie de Vera Brittain, il relate son
attente et ses engagements alors que son frère et ses amis se retrouvent engagés dans la guerre sous drapeau britannique. On y suit aussi un parcours féminin, de l'arrière au front avec le passage de l'université à la vocation d'infirmière.
Les
personnages masculins de la vie et rien d’autre,
essentiellement militaires, nous montrent, non pas des va-t-en-guerre mais bien
des hommes las, quatre années de conflit les ont désabusés. Les figures des hommes
en recherche d’un absent ne sont pas nombreuses. On aperçoit bien un oncle et on
évoque largement un père prêt à se servir de toute son influence politique pour
trouver la trace de son fils disparu. La guerre est, théoriquement terminée depuis
l’armistice, mais on comprend que pour les familles, le chapitre ne peut se clore que
par une certitude : avoir un homme à table le dimanche ou un corps à enterrer.
Cette quête désespérée a été celle du grand auteur Ruyard Kipling, dont le fils
perdit la vie en 1915. Un parcours que vous pouvez retrouver dans le film My boy Jack. La figure masculine
centrale, incarnée par Noiret dans le film de Tavernier, le commandant
Delaplane, cherche tous les soldats sans identité, morts ou vifs. De son
parcours durant la guerre, de ses pertes, nous ne saurons rien, ce qui fait
perdre un peu d’épaisseur à un personnage pourtant bien écrit pas ailleurs.
Si le film a fait de la recherche des disparus le prétexte de son existence, il a su ne pas non plus s’appesantir uniquement sur ce sujet. Fil rouge du long-métrage, cette enquête maintient la cohérence de ce film choral sans être un carcan.
II : Construire
la mémoire future entre amnésie et hommage à outrance ?
La vie et rien d’autre s’attarde
surtout sur le travail mémoriel immédiat, aussi bien dans la construction des symboles, que dans l’acceptation du deuil. Entre ces deux thèmes un lien,
terrible, l’appât du gain que Tavernier illustre via le commerce des monuments
aux morts, des gains sur les cercueils, des agents spécialisés dans
l’accompagnement des familles… Comme l’a souligné Nicolas Simon[2],
Tavernier met en scène ces « profiteurs de mort ». Si cette thématique
vous intéresse vous pouvez visionner Au
revoir là-haut ! ou, mieux
encore, lire le livre de Pierre Lemaître, bien meilleur que son adaptation filmée.
Il existe aussi une bande-dessinée sur le même titre, que je n’ai pas eu
l’occasion de parcourir. On notera d'autre part, dans la vie et rien d'autre, une scène à la fois savoureuse et glaçante. Celle de ces représentants d'une commune n'ayant pas de soldats morts au front, ce qui bloque l'intégration de la commune dans l'érection d'un monument et sa participation à la peine nationale. Notons quand même que c'est assez étonnant car les communes n'honorent pas sur leur monument que les hommes résidant sur leur territoire administratif.
Tavernier se penche aussi, dans ses premières minutes, sur la question des soldats revenus de la guerre sans identité, brisés au point de n’avoir plus la mémoire de leur histoire. Il ne s’attarde pas sur la reconstruction des hommes de retour du front, ce n’est pas son sujet, il traite, lui, de la reconstruction de ceux qui ont principalement vécu la vie à l’arrière. Celle des soldats a par ailleurs, été largement traitée. Pour discuter, avec un public averti, du cas des gueules cassés, un des films de référence reste La chambre des officiers. Claire Fredj avait souligné dans un article[3] de 2001, la singularité de ce long métrage. Là encore c’est un des sujets phares d’Au Revoir là-haut, dont nous avons parlé plus haut, puisqu’un des deux protagonistes voit son visage emporté par la guerre. Pour les traumatismes invisibles dans la chair mais ayant fracassé les esprits, une illustration a été récemment donnée avec le film français Cessez le feu. Quelques scènes ayant été tournées à Nantes, le film avait peut-être plus retenu mon attention. Contrairement au film de Tavernier celui-ci met en scène la violence des tranchées.
La
mémoire individuelle, le ressenti des soldats survivants n’est que peu évoqué
par La vie et rien d’autre. La
relation avec les autres nationalités est quasi absente. On imagine pourtant
aisément que d’autres pays cherchent leurs morts sur les champs de bataille. On
évoque juste la présence de ces autres corps dans la recherche du soldat
inconnu dont on souligne que si son nom doit être introuvable, sa nationalité
doit être certaine : un paradoxe qui fait s’arracher les cheveux à certains fonctionnaires.
Pour creuser cette question du rapport à la mort de l’étranger dans les
tranchées, l’ennemi pourtant si semblable, et ses conséquences sur sa
conscience, je vous conseille le très esthétique film Frantz (remake de l’homme que
j’ai tué). Tavernier, lui, fait le choix de centrer les recherches sur un théâtre
particulier : les soldats morts dans un accident de train. On est loin des tués
sous les feux et les baïonnettes ennemies ce qui met hors-jeu les dialogues revanchards
qu’un tel contexte aurait pu suggérer au scénariste.
Avec la vie et rien d’autre, on évoque surtout
une guerre qui semble sans fin. Dans les scènes de vie, les restrictions alimentaires
ou le manque de matériaux sont les rappels quotidiens d’une crise qu’un trait de
plume en bas d’un traité n’a pas su terminer. La découverte permanente des munitions
diverses dans les terres des paysans amène encore régulièrement la mort dans
les familles, comme le démontre brièvement le film. Les chantiers de déblaiement
de certains trains accidentés à la fin de la guerre, mettent en scène la
lenteur de la reconstruction qui s’annonce. Tavernier nous livre le portrait d’une
France de 1920 encore en guerre, avec elle-même. Luttant pour retrouver un
semblant d’avenir, le pays est encore englué dans un conflit où il ignore même
le nombre d’enfants qu’il a perdus. On appréciera la reconstitution précise du
choix du soldat inconnu, seul le fond sonore étant anachronique.
Arrivé à la
fin de cet article, j’espère avoir piqué votre curiosité si vous ne connaissiez
pas encore les films évoqués. En ce jour de commémoration, souvenez-vous, le 11
novembre n’est que le début d’un nouveau combat pour la France, celui de la
construction de la mémoire individuelle, familiale et nationale.
Liste des
films évoqués en ordre chronologique de sortie :
·
Tavernier Bertrand, La vie et rien d’autre, Hachette Première, AB Films, 1989
·
Kirk Brian, My
boy Jack, Ingenious Broadcasting, 2007
·
Kent James, Mémoire
de Jeunesse, BBC Films, Heyday Films, 2014
·
Ozon François, Frantz,
Mandarin Production, 2016
·
Courcol Emmanuel, Cessez-le-feu,
Polaris Film Production et Finance, 2016
- Dupontel Albert, Au revoir là-haut, Stadenn Prod, Manchester Films, 2017
[1] Becker
Jean-Jacques. « La vie et rien d'autre ». In: Vingtième Siècle, revue
d'histoire, n°25, janvier-mars 1990. Dossier : le Brésil au pluriel. pp.
107-108.
[2] Nicolas
Simon, "Première Guerre mondiale & cinéma : quelques réflexions",
in ParenThèses, publié le 15/06/2015
[3] Claire Fredj, « La
Chambre des officiers », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire
critique [En ligne], 84 | 2001, mis en ligne le 28
novembre 2009
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