Voici un très court livre dont j’aurais pu et même dû vous parler bien plus tôt : A 1000 miles de la liberté. Rédigé par Ellen et William Craft, ce récit autobiographique relate la fuite du couple d’esclaves durant l’hiver 1848 pour rejoindre le nord des Etats-Unis. On doit aux éditions Payot la possibilité de lire désormais ce titre en français, depuis 2022. Le texte, pourtant, existe depuis 1860 et fut largement lu au XIXe siècle. Si vous êtes anglophone, vous pouvez aussi le trouver en ligne. Désormais facilement accessible, en anglais et en français, il n’y a plus d’excuses pour faire l’impasse sur ce texte rare et précieux pour comprendre toutes les subtilités du système esclavagiste du pays. Vous hésitez encore ? Voici quelques bonnes raisons pour vous lancer dans cette lecture.
Raison
n°1 : un témoignage rare et de première main. La population réduite
en esclavage aux Etats-Unis a laissé peu de témoignages écrits de sa main sur ses
conditions de vie, proportionnellement au nombre de personnes concernées. On
trouve des récits, mais ils sont souvent le résultat de transcriptions réalisées par
un intermédiaire, par exemple un abolitionniste recueillant ces récits de
fugitifs. La plupart des esclaves ne savaient pas et n’avaient pas le droit de lire
et d’écrire ce qui explique la rareté de ces témoignages. Avant de parcourir le
travail des époux Craft, je n’avais lu qu’un texte de ce type, du XVIIIe
siècle, le témoignage d’Olaudah Equiano. Il s’agissait du récit d’un esclave,
de son enlèvement en Afrique jusqu’à l’achat de sa liberté à Philadelphie. Il
était édité dans une version adaptée à la jeunesse chez Cascade dans les années
2000. Quand j’ai lu A 1000 miles de la
liberté j’ai immédiatement fait le lien entre les deux textes traduits en
français. Le récit qui nous intéresse aujourd’hui est rédigé à la première
personne du singulier, comme si William n’en était que le seul auteur. Il est admis
désormais que le nom d’Ellen figure aussi en couverture car tout laisse à
penser qu’il s’agit d’un travail commun.
Raison n°2 : une
fenêtre sur la complexité du système esclavagiste. On a tendance à
présenter l’esclavage aux Etats-Unis comme une opposition entre des maîtres
blancs et des esclaves noirs. Le témoignage des Craft montre à quel point
les limites entre les deux populations sont beaucoup plus complexes. Le récit
commence en effet par une longue explication de la situation juridique du
statut d’esclave en ce début du XIXe siècle. Les auteurs expliquent ainsi que
Ellen est presque blanche, c’est ce qui permettra leur fuite, nous le verrons
plus loin. William rapporte ainsi « Il
est bon de rappeler que l’esclavage en Amérique n’est nullement limité à des
gens d’une couleur de peau particulière ; il y a beaucoup d’esclaves aussi
blancs que n’importe qui […] ». L’insistance sur cette situation,
illustrée d’exemples et de faits divers de l’époque, tient presque du cours de
droit mais est essentielle pour la suite du récit. Le texte fait aussi état du système
commercial et de ses conséquences terribles pour les familles dont celle d’Ellen. Le narrateur soulignera tout de même en fin de livre qu’esclaves ou
libres, les personnes de couleur sont plus volontiers maltraitées dans son pays.
N’oublions pas que, lorsque ce livre sort, il a aussi pour objectif de tirer la
sonnette d’alarme en Europe, sur la situation qui perdure
aux Etats-Unis.
Raison n°3 : une
évasion hors norme. La fuite des Craft n’est pas une aventure commune,
la stratégie et le parcours qu’ils ont mis au point n’est pas le fruit d’un réseau
bien organisé. Le couple va fuir à la vue de tous, en prenant le train. Le secret
de leur réussite repose sur la prise d’une fausse identité inattendue : Ellen va
se faire passer pour un jeune homme blanc en voyage avec son esclave noir
incarné par William. Le périple ne se fait pas sans accro mais donne aussi l’occasion
au lecteur de fréquenter différents milieux. Ellen chez les blancs, libres, en vient
à discuter de l’inconstance des esclaves, on la met en garde contre la fuite de
son domestique. Son mari, quant à lui, se voit parfois s’offrir à lui seul l’occasion
d’une fuite vers le nord. Lire ce court récit c’est donc aussi voir se dessiner
un portrait de l’Amérique de la côte Est.
Raison n°4 : comprendre
que la fuite vers le Nord n’est qu’une étape. Le livre relate aussi,
trop peu à mon goût, l’arrivée dans le monde libre. Les quarante dernières
pages sont consacrées au chemin du couple pour gagner la liberté après leur arrivée en Pennsylvanie. Ils vont vite
prendre conscience que gagner les états du Nord ne suffira pas. En 1850, deux
ans après leur fuite, une nouvelle loi permet aux anciens maîtres du Sud de
récupérer les fugitifs. Un nouveau voyage sera nécessaire pour quitter le
pays. On regrettera que l’éditeur français n’ait pas joint un dossier
documentaire qui aurait plus largement éclairé le parcours des Craft après 1860
puisqu’ils vivront encore plusieurs décennies. Peut-être une édition future
sera-t-elle augmentée d’une recherche historique vulgarisée autour de leur
parcours militant ?
La lecture
d’A 1000 miles de la liberté fut pour
moi très enrichissante, je la conseillerai particulièrement à mes élèves au
lycée même si elle n’est pas en lien direct avec le programme car elle complète
différentes notions. C’est un livre à lire et à relire pour aussi, percevoir,
toute la complexité de cette époque et comprendre les racines de certaines
fractures politiques des Etats-Unis.
Pour
compléter cette lecture, vous pouvez :
-
Visionner le film Harriet
(2019) qui reprend le parcours de Harriet Tubman qui prend le chemin du
Nord à la même époque que les époux Craft, mais reviendra participer au réseau d’évasion.
-
Regarder le long-métrage Twelve Years a Slave (2013) qui reprend là aussi un récit autobiographique
d’un homme qui naquit libre et fut réduit en esclavage dans les années 1840.
Ici vous découvrirez donc le chemin inverse à celui des Craft.
-
Jouer au jeu Oklahoma
dans la collection Cartaventura dont
je parlerai bientôt sur le blog, et dont l’action se situe une vingtaine d’années plus tard, à l’aube de la guerre de sécession. Vous mettrez vos pas dans ceux
de Bass Reeves, bien décidé à gagner sa liberté.
Je vous souhaite une bonne
lecture, n’hésitez pas à me faire part de vos impressions en commentaire si
vous avez la chance de lire cet ouvrage.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire