dimanche 26 octobre 2025

Mince alors… Mon soldat de 14-18 est introuvable sur les monuments aux morts !

 

Monument aux morts de Rosporden (29)


            Avec les célébrations du centenaire de la guerre, en 2014, durant quatre années les chercheurs, les associations et les généalogistes amateurs ont ouvert de nouvelles voies pour raconter l’histoire des poilus qui ne sont jamais rentrés chez eux. Ces bonnes volontés ont cherché à redonner des visages et le chemin de ce qui n’étaient, trop souvent, que des lettres gravées sur des monuments. Nombreux sont les amateurs de généalogie qui ont découvert ou bien mieux compris le parcours d’un grand-père qui n’était pas revenu de Verdun ou du Chemin des Dames. Passer l’émotion de la découverte, succèdent pour certains une question et parfois une déception, leur soldat n’est pas sur le monument de son village. Je vous propose dans ce « Mince alors… » de découvrir les raisons de ces absences sur les monuments collectifs.

 

            Prenons le temps de préciser quelques petits points importants à connaître sur les monuments en question. Comme le rappelait François Roth dans son ouvrage La guerre de 1870 (Coll. Pluriel, ed. Hachette, 2005), le précédent conflit avait provoqué des réflexions et des démarches nouvelles autour du souvenir des disparus. C’est dans la continuité des cérémonies déjà existantes avant-guerre, qui servent de modèle, que de nouvelles célébrations des héros morts au combat sont mises en place. Les communes vont, quelques mois à plusieurs années après la guerre, mettre en route un projet de monument. J’ai lu qu’entre l’armistice et 1925, presque 30 000 monuments furent érigés en France. Attention, les communes ne sont pas les seules à honorer cette mémoire, mais nous en reparlerons plus loin. Pour des raisons politiques ou économiques par exemple, certaines communes attendront les années 1930, comme Huelgoat (29) qui n’inaugurera son monument qu’en 1932 avec le discours du sous-préfet Jean Moulin. Il n’y a pas d’obligation pour la commune à réaliser ce type de construction mais dès 1919, l’Etat accorde des subventions pour les réaliser (Loi du 25 octobre 1919, article 5) qui disparaîtront par la suite (Loi du 29 avril 1925, article 142).

Monument de Concarneau (29), situé dans le cimetière municipal

            Une fois consultés les fiches matricules, les photos, les journaux de marches et la presse, vous souhaitez ajouter une photo du monument aux morts sur la fiche généalogique de votre aïeul. Pourtant pas de trace de son prénom associé à son patronyme sur la stèle du village. Il faudra distinguer deux cas de figure dans votre cheminement de recherche, si vous cherchez directement sur un monument ou si vous vous basez sur les nombreux relevés.  

Si les monuments doivent respecter la loi de 1905 et n'avoir aucun signe se référant à la religion
les carrés militaires (Concarneau ici) peuvent être
marqués sur les tombes individuelles d'insignes religieux.

            Cause n°1 : Vous ne cherchez pas sur le bon monument.

 

            Il est bon de rappeler qu’il n’y a assez peu de règles établies pour savoir qui a le droit d’être inscrit sur le monument d’une commune. A une époque les mairies ratissaient très large pour composer la liste de leurs enfants tombés à la guerre.  

            Une personne peut être inscrite :

-          dans la commune où elle est née.

-          dans la commune où elle était domiciliée. 

-          dans la commune de résidence de ses parents ou/et de sa veuve (cas plus rare)

 

Il faut donc prendre en compte toute la vie de votre ancêtre et vous découvrirez qu’il est peut-être sur plusieurs monuments. Listez bien les différentes communes où il a vécu et épluchez alors les relevés. Vous aurez sûrement des surprises.   

 

Attention : Un poilu peut donc apparaître sur plusieurs monuments mais méfiez-vous aussi des homonymes. Je vous ai déjà proposé un article sur les homonymies et les méthodes pour les distinguer.

Un monument particulier à Quimper (29), devant le carré militaire inauguré dans les années 1920, 
un monument dédié aux soldats morts en captivité.  

 

            Cause n°2 : Votre « mort pour la France » a été oublié.

           

            Les soldats reconnus avec la mention « Mort pour la France », depuis 2012, doivent être inscrits sur le monument de leur commune de naissance et/ou de dernière domiciliation, c’est obligatoire. Il arrive que votre soldat, même avec la mention « Mort pour la France », n’apparaisse nulle part. C’est pourtant le cas le plus simple, celui auquel aucune des autorités décisionnaires dès la guerre ne refusent l’hommage sur un monument. Il arrive malheureusement qu’il y ait certains oublis. Les raisons sont multiples, parfois tout simplement le soldat est mort bien après la guerre, des suites de ses blessures et le monument n’a pas été actualisé. Il est possible, aujourd’hui,  pour la famille de faire une démarche pour faire inscrire le nom omis.

 

            Bon à savoir : Tous les soldats d’un monument aux morts, n’ont pas nécessairement reçu la mention « Mort pour la France ».



Cause n°3 : La famille a refusé l’inscription sur le monument

 

Cela est très rare, mais une famille de soldat peut refuser que le nom de leur défunt soit inscrit sur le monument aux morts, par exemple pour des raisons politiques. Les cas ne sont pas légion, mais cela reste une possibilité. Si vous vous lancez dans la démarche de faire inscrire votre aïeul et que l’absence est due à un choix de ses proches (parent, épouse, enfant), pensez à bien vous renseigner sur leurs motivations. Parfois rendre hommage à l’un est contrarier la mémoire de ceux qui le connaissaient. Avec la loi de 2012, « les [soldats ayant reçu la mention] morts pour la France » peuvent être inscrits contre l’avis de la famille.

 

Cause n°4 : Vous soldat a été fusillé

 

Un cas particulier mais qui concerne plusieurs centaines de soldats français : votre aïeul a été fusillé pour l’exemple. La France connaît un nombre particulièrement élevé de soldats fusillés parmi les belligérants du conflit. Longtemps ignorés, leurs destins ont été mis en lumière depuis quelques années. Votre soldat est un fusillé ? A une époque, aucune chance qu’il soit inscrit sur le monument d’une commune. Aujourd’hui, les choses changent et un travail de réhabilitation peut être mené pour que le nom du fusillé apparaisse.

Il est vrai que certains furent réhabilités assez tôt, comme l’exemple du breton François-Marie Laurent, dont on reconnaît dès 1933 l’innocence et dont le nom est ajouté rapidement sur le monument de sa commune (condamné à tort pour mutilation volontaire alors qu’il s’agissait d’une blessure). Plus marquante encore, l’histoire des Martyrs de Vingré, six hommes fusillés pour l’exemple en décembre 1914, qui furent réhabilités dès 1921. Ils ont leur propre monument là où ils furent fusillés. Malgré quelques exemples marquants, ces cas restent longtemps rares, la majorité des condamnés pour l’exemple restent voués à l’opprobre populaire.

Les démarches, ayant pu aboutir, ne se sont multipliées qu’au XXIe siècle. Les dossiers des fusillés ont été numérisés et mis en ligne en 2014. Les autorités britanniques avaient, en 2006 réhabilité plus de 300 de leurs fusillés, et ont choisi la réhabilitation collective là où la France préfère du cas par cas. Par contre, à l’instar de notre voisin d’outre-manche, nous avons maintenant un monument dédié aux fusillés, à Chauny dans l’Aisne, depuis 2019. Progressivement la presse régionale se fait tout de même l’écho d’ajouts de patronymes des fusillés réhabilités sur les monuments communaux.

 

            Cause n°5 : Le monument n’existe pas ou a disparu.

           

En France, on dénombre un peu plus d’une dizaine de communes qui n’ont pas eu de victime durant ce conflit, donc pas de monument. Certaines communes ont aussi vu leurs monuments détruits ou sont en train de le faire ériger (on a eu de nombreux monuments construits pour le centenaire). Ce n’est pas courant mais cela arrive, suite à un bombardement de la Seconde Guerre mondiale ou à des travaux par exemple. En épluchant la presse locale vous trouverez divers exemples comme celui de Chapelle-en-Juger qui a retrouvé un morceau de son monument fin 2024. Il peut donc arriver que votre poilu n’apparaisse sur aucun monument car celui-ci n’existe plus.

N’omettez pas le cas des communes disparues depuis la guerre ou des nouvelles communes.

 

             Cause n°6 : Vous vous êtes limité aux monuments communaux.

           

            Les monuments aux morts de 14-18 que nous connaissons le mieux sont généralement ceux que nous croisons sur les places de nos villages et dans nos cimetières. Il n’y a pas que les communes qui vont vouloir rendre hommage à leurs morts. Les paroisses, les lycées ou les entreprises sont autant d’institutions qui vont graver les noms de leurs fils emportés par la guerre. Si vous ne trouvez pas votre soldat ou que vous souhaitez vérifier qu’il n’est pas mentionné ailleurs, poussez les portes de toutes les institutions qu’il a fréquentées durant sa vie. Vous trouverez en suivant ce lien une liste de monuments scolaires et universitaires si le sujet vous intéresse, élèves et professeurs y sont honorés. Moins connus, pensez aussi aux associations, notamment sportives qui ont pu compter votre aïeul dans leur membre. A Nantes, un bel exemple est la stèle présente au S.N.U.C.

           

Dans la ville de Richelieu (37) - 2000 habitants environ
pendant le conflit, on trouve la plaque municipale
à la mairie...

... et la plaque commémorative dans l'église à
quelques centaines de mètres

            Cause n°7: Le relevé que vous consultez est incomplet ou erroné.

           

            Je l’avais mentionné en début d’article, tous les généalogistes amateurs ne travaillent pas directement sur les lieux du monument aux morts. De nombreux relevés existent, directement en ligne. Il y a par exemple monuments-aux-morts.fr (je vais essayer de faire un article sur le sujet dans la rubrique « les outils du généalogiste »). Il suffit de taper un nom de famille pour obtenir la liste et la carte des monuments où il apparaît. Par exemple si je tape le nom de mon arrière-grand-oncle mort à la guerre « Lethiec », le moteur me trouve 8 résultats en France. Différents filtres peuvent être utilisés comme le conflit qui nous intéresse. Je ne rentre pas dans le détail aujourd’hui. D’autres sites existent mais l’écueil principal est toujours le même, un relevé n’est pas toujours juste, ou l’orthographe n’est pas la même que celle que vous connaissez. Les variantes orthographiques des noms de famille sont un obstacle fréquent dans vos recherches généalogiques, vous pouvez relire « Mince alors… Mon nom de famille n'a pas d’orthographe ? ». Il existe de nombreuses autres bases, consultez les, les releveurs peuvent être différents et vous trouverez peut-être votre soldat de cette façon (par exemple memorialgenweb.org). En généalogie on croise et on recoupe toujours un maximum de sources.  

Autre exemple de monument paroissial, à Pont-l'Abbé (29)

            J’ai essayé de vous proposer les principales raisons qui peuvent expliquer l’absence d’un soldat sur un monument. Il en existe d’autres mais relativement rares, des cas très particuliers. Je ne me suis pas non plus étendue sur le cas des monuments situés dans les régions sous contrôle allemand en 1914, redevenues françaises par la suite. Cela mériterait un article en soi, la situation étant si particulière, n’hésitez pas à me le dire si le sujet vous intéresse. De même je me pose la question de vous proposer un article sur les monuments de la guerre de 1870.

            Nous n’avons ici parlé que des soldats de 14-18 pouvant être inscrits sur les monuments aux morts, c’est passer sous silence la question des civils présents sur ces monuments, parmi lesquelles des femmes. Le cas le plus emblématique, à mes yeux, est celui d’Emma Bujardet, morte de chagrin, dont le nom figure sur le monument de La Forêt-du-Temple. Là encore, je peux, à l’occasion, compléter l’article d’aujourd’hui par un autre sur le sujet des non-combattants qu’on inscrit désormais plus facilement.

            J’espère qu’en cette semaine précédant la Toussaint, quand vous irez dans les cimetières, peut-être dans les villages de vos aïeux, dans l’église de votre quartier, cette lecture éclairera votre regard sur la liste gravée devant vos yeux.


Quelques lectures pour continuer à apprendre sur le sujet :

AUBRY Martine & DE OLIVEIRA Matthieu, « Une base de données sur les monuments aux morts : histoire concrète et valorisation numérique », in In Situ le 30 janvier 2015

ALLEMAND Sophie & SURGE Clara, « Malaise dans le monument » in prod-cuej.u-strasbg.fr

DAVID Franck, « Le monument aux morts », in le-souvenir-francais.fr

DENIS Marie-Noële, « Monuments aux morts en Alsace. Entre mémoire et histoire » in Revue des Sciences Sociales, n°30, 2003

DUPUIS Claude, « Des monuments aux morts entre laïcité et ferveur religieuse : un patrimoine hors-la-loi ? », in In Situ, 29 septembre 2014

GUILLOT O. et PARENT A. « Les fusillés de la Grande Guerre sont-ils morts au nom de leurs idées pacifistes ? Une approche quantitative. » in Revue de l'OFCE, 171(1), 135-159, 2021

MUNTZER J. « 14-18 : la bataille pour la réhabilitation des fusillés de la Grande Guerre » in

PAU Béatrix, « Les monuments aux morts » in cheminsdememoire.gouv.fr

ROQUEJEOFFRE Nicolas, « L’histoire complexe des monuments aux morts en Alsace-Moselle » in lalsace.fr le 2 octobre 2025

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