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| Monument aux morts de Rosporden (29) |
Avec les célébrations du centenaire de la guerre, en 2014, durant quatre années les chercheurs, les associations et les généalogistes amateurs ont ouvert de nouvelles voies pour raconter l’histoire des poilus qui ne sont jamais rentrés chez eux. Ces bonnes volontés ont cherché à redonner des visages et le chemin de ce qui n’étaient, trop souvent, que des lettres gravées sur des monuments. Nombreux sont les amateurs de généalogie qui ont découvert ou bien mieux compris le parcours d’un grand-père qui n’était pas revenu de Verdun ou du Chemin des Dames. Passer l’émotion de la découverte, succèdent pour certains une question et parfois une déception, leur soldat n’est pas sur le monument de son village. Je vous propose dans ce « Mince alors… » de découvrir les raisons de ces absences sur les monuments collectifs.
Prenons le temps de préciser quelques petits points importants à connaître sur les monuments en question. Comme le rappelait François Roth dans son ouvrage La guerre de 1870 (Coll. Pluriel, ed. Hachette, 2005), le précédent conflit avait provoqué des réflexions et des démarches nouvelles autour du souvenir des disparus. C’est dans la continuité des cérémonies déjà existantes avant-guerre, qui servent de modèle, que de nouvelles célébrations des héros morts au combat sont mises en place. Les communes vont, quelques mois à plusieurs années après la guerre, mettre en route un projet de monument. J’ai lu qu’entre l’armistice et 1925, presque 30 000 monuments furent érigés en France. Attention, les communes ne sont pas les seules à honorer cette mémoire, mais nous en reparlerons plus loin. Pour des raisons politiques ou économiques par exemple, certaines communes attendront les années 1930, comme Huelgoat (29) qui n’inaugurera son monument qu’en 1932 avec le discours du sous-préfet Jean Moulin. Il n’y a pas d’obligation pour la commune à réaliser ce type de construction mais dès 1919, l’Etat accorde des subventions pour les réaliser (Loi du 25 octobre 1919, article 5) qui disparaîtront par la suite (Loi du 29 avril 1925, article 142).

Monument de Concarneau (29), situé dans le cimetière municipal
Une fois consultés les fiches
matricules, les photos, les journaux de marches et la presse, vous souhaitez
ajouter une photo du monument aux morts sur la fiche généalogique de votre
aïeul. Pourtant pas de trace de son prénom associé à son patronyme sur la stèle
du village. Il faudra distinguer deux cas de figure dans votre cheminement de recherche,
si vous cherchez directement sur un monument ou si vous vous basez sur les
nombreux relevés.
Cause n°1 : Vous ne cherchez pas sur le bon monument.
Il est bon de rappeler qu’il n’y a
assez peu de règles établies pour savoir qui a le droit d’être inscrit sur le
monument d’une commune. A une époque les mairies ratissaient très large pour
composer la liste de leurs enfants tombés à la guerre.
Une personne peut être
inscrite :
-
dans
la commune où elle est née.
-
dans
la commune où elle était domiciliée.
-
dans
la commune de résidence de ses parents
ou/et de sa veuve (cas plus rare)
Il faut donc prendre en compte toute la vie de
votre ancêtre et vous découvrirez qu’il est peut-être sur plusieurs monuments. Listez bien les différentes communes où il
a vécu et épluchez alors les relevés. Vous aurez sûrement des surprises.
Attention : Un poilu peut donc apparaître sur plusieurs monuments
mais méfiez-vous aussi des homonymes. Je vous ai déjà proposé un article sur les
homonymies et les méthodes pour les distinguer.

Un monument particulier à Quimper (29), devant le carré militaire inauguré dans les années 1920,
un monument dédié aux soldats morts en captivité.
Cause n°2 : Votre « mort pour la France » a été oublié.
Les soldats reconnus avec la mention
« Mort pour la France », depuis 2012, doivent être inscrits
sur le monument de leur commune de naissance et/ou de dernière domiciliation,
c’est obligatoire. Il arrive que votre soldat, même avec la mention « Mort
pour la France », n’apparaisse nulle part. C’est pourtant le cas le plus
simple, celui auquel aucune des autorités décisionnaires dès la guerre ne
refusent l’hommage sur un monument. Il arrive malheureusement qu’il y ait certains
oublis. Les raisons sont multiples, parfois tout simplement le soldat est mort
bien après la guerre, des suites de ses blessures et le monument n’a pas été
actualisé. Il est possible, aujourd’hui, pour la famille de faire une démarche pour
faire inscrire le nom omis.
Bon à savoir : Tous les soldats d’un monument aux morts, n’ont
pas nécessairement reçu la mention « Mort pour la France ».
Cause n°3 : La famille a refusé l’inscription sur le monument
Cela est très rare, mais une famille de soldat peut refuser que le nom de leur défunt soit
inscrit sur le monument aux morts, par exemple pour des raisons politiques.
Les cas ne sont pas légion, mais cela reste une possibilité. Si vous vous lancez
dans la démarche de faire inscrire votre aïeul et que l’absence est due à un
choix de ses proches (parent, épouse, enfant), pensez à bien vous renseigner
sur leurs motivations. Parfois rendre hommage à l’un est contrarier la mémoire
de ceux qui le connaissaient. Avec la loi de 2012, « les [soldats ayant
reçu la mention] morts pour la France » peuvent être inscrits contre
l’avis de la famille.
Cause n°4 : Vous soldat a été fusillé
Un cas particulier mais qui concerne plusieurs
centaines de soldats français : votre aïeul a été fusillé pour l’exemple.
La France connaît un nombre particulièrement élevé de soldats fusillés parmi
les belligérants du conflit. Longtemps ignorés, leurs destins ont été mis en
lumière depuis quelques années. Votre soldat est un fusillé ? A une époque,
aucune chance qu’il soit inscrit sur le monument d’une commune. Aujourd’hui,
les choses changent et un travail de réhabilitation peut être mené pour que le
nom du fusillé apparaisse.
Il est vrai que certains furent réhabilités assez
tôt, comme l’exemple
du breton François-Marie Laurent, dont on reconnaît dès 1933 l’innocence et
dont le nom est ajouté rapidement sur le monument de sa commune (condamné à
tort pour mutilation volontaire alors qu’il s’agissait d’une blessure). Plus
marquante encore, l’histoire des Martyrs de Vingré, six hommes fusillés pour
l’exemple en décembre 1914, qui furent réhabilités dès 1921. Ils ont leur
propre monument là où ils furent fusillés. Malgré quelques exemples marquants,
ces cas restent longtemps rares, la majorité des condamnés pour l’exemple restent
voués à l’opprobre populaire.
Les démarches, ayant pu aboutir, ne se sont
multipliées qu’au XXIe siècle. Les dossiers des fusillés ont été numérisés et mis
en ligne en 2014. Les autorités britanniques avaient, en 2006 réhabilité
plus de 300 de leurs fusillés, et ont choisi la réhabilitation collective là où
la France préfère du cas par cas. Par contre, à l’instar de notre voisin d’outre-manche,
nous avons maintenant un monument
dédié aux fusillés, à Chauny dans l’Aisne, depuis 2019. Progressivement la
presse régionale se fait tout de même l’écho d’ajouts de patronymes des
fusillés réhabilités sur les monuments communaux.
Cause n°5 : Le monument n’existe pas ou a disparu.
En France, on dénombre un peu plus d’une
dizaine de communes qui n’ont pas eu de victime durant ce conflit, donc pas de
monument. Certaines communes ont aussi vu leurs monuments détruits ou sont en
train de le faire ériger (on a eu de nombreux monuments construits pour le
centenaire). Ce n’est pas courant mais cela arrive, suite à un bombardement de
la Seconde Guerre mondiale ou à des travaux par exemple. En épluchant la presse
locale vous trouverez divers exemples comme celui
de Chapelle-en-Juger qui a retrouvé un morceau de son monument fin 2024. Il
peut donc arriver que votre poilu n’apparaisse sur aucun monument car celui-ci
n’existe plus.
N’omettez pas le cas des communes disparues
depuis la guerre ou des nouvelles communes.
Cause
n°6 : Vous vous êtes limité aux monuments communaux.
Les monuments aux morts de 14-18 que
nous connaissons le mieux sont généralement ceux que nous croisons sur les
places de nos villages et dans nos cimetières. Il n’y a pas que les communes
qui vont vouloir rendre hommage à leurs morts. Les paroisses, les lycées ou les
entreprises sont autant d’institutions qui vont graver les noms de leurs fils emportés
par la guerre. Si vous ne trouvez pas votre soldat ou que vous souhaitez
vérifier qu’il n’est pas mentionné ailleurs, poussez les portes de toutes les
institutions qu’il a fréquentées durant sa vie. Vous trouverez en suivant ce
lien une liste de monuments scolaires
et universitaires si le sujet vous intéresse, élèves et professeurs y sont
honorés. Moins connus, pensez aussi aux associations, notamment sportives qui ont
pu compter votre aïeul dans leur membre. A Nantes, un
bel exemple est la stèle présente au S.N.U.C.
Dans la ville de Richelieu (37) - 2000 habitants environ
pendant le conflit, on trouve la plaque municipale
à la mairie...... et la plaque commémorative dans l'église à
quelques centaines de mètres
Cause n°7: Le
relevé que vous consultez est incomplet ou erroné.
Je l’avais mentionné en début d’article,
tous les généalogistes amateurs ne travaillent pas directement sur les lieux du
monument aux morts. De nombreux relevés existent, directement en ligne. Il y a
par exemple monuments-aux-morts.fr
(je vais essayer de faire un article sur le sujet dans la rubrique « les
outils du généalogiste »). Il suffit de taper un nom de famille pour obtenir
la liste et la carte des monuments où il apparaît. Par exemple si je tape le
nom de mon arrière-grand-oncle mort à la guerre « Lethiec », le
moteur me trouve 8 résultats en France. Différents filtres peuvent être utilisés
comme le conflit qui nous intéresse. Je ne rentre pas dans le détail aujourd’hui.
D’autres sites existent mais l’écueil principal est toujours le même, un relevé
n’est pas toujours juste, ou l’orthographe n’est pas la même que celle que vous
connaissez. Les variantes orthographiques des noms de famille sont un obstacle
fréquent dans vos recherches généalogiques, vous pouvez relire « Mince
alors… Mon nom de famille n'a pas d’orthographe ? ». Il existe de
nombreuses autres bases, consultez les, les releveurs peuvent être différents
et vous trouverez peut-être votre soldat de cette façon (par exemple memorialgenweb.org).
En généalogie on croise et on recoupe toujours un maximum de sources.
Autre exemple de monument paroissial, à Pont-l'Abbé (29)
J’ai essayé de vous proposer les
principales raisons qui peuvent expliquer l’absence d’un soldat sur un
monument. Il en existe d’autres mais relativement rares, des cas très
particuliers. Je ne me suis pas non plus étendue sur le cas des monuments situés
dans les régions sous contrôle allemand en 1914, redevenues françaises par la
suite. Cela mériterait un article en soi, la situation étant si particulière, n’hésitez
pas à me le dire si le sujet vous intéresse. De même je me pose la question de
vous proposer un article sur les monuments de la guerre de 1870.
Nous n’avons ici parlé que des
soldats de 14-18 pouvant être inscrits sur les monuments aux morts, c’est passer
sous silence la question des civils présents sur ces monuments, parmi
lesquelles des femmes. Le cas le plus emblématique, à mes yeux, est celui
d’Emma Bujardet, morte de chagrin, dont le nom figure sur le monument de La
Forêt-du-Temple. Là encore, je peux, à l’occasion, compléter l’article d’aujourd’hui
par un autre sur le sujet des non-combattants qu’on inscrit désormais plus
facilement.
J’espère qu’en cette semaine
précédant la Toussaint, quand vous irez dans les cimetières, peut-être dans les
villages de vos aïeux, dans l’église de votre quartier, cette lecture éclairera
votre regard sur la liste gravée devant vos yeux.
Quelques lectures pour continuer
à apprendre sur le sujet :
AUBRY Martine & DE OLIVEIRA Matthieu,
« Une base de données sur les monuments aux morts : histoire concrète et
valorisation numérique », in In Situ le
30 janvier 2015
ALLEMAND Sophie & SURGE Clara, « Malaise
dans le monument » in prod-cuej.u-strasbg.fr
DAVID Franck, « Le monument aux
morts », in le-souvenir-francais.fr
DENIS Marie-Noële, « Monuments
aux morts en Alsace. Entre mémoire et histoire » in Revue des Sciences Sociales, n°30, 2003
DUPUIS Claude, « Des monuments
aux morts entre laïcité et ferveur religieuse : un patrimoine hors-la-loi ? »,
in In Situ, 29 septembre 2014
GUILLOT O. et PARENT A. « Les
fusillés de la Grande Guerre sont-ils morts au nom de leurs idées pacifistes ?
Une approche quantitative. » in Revue
de l'OFCE, 171(1), 135-159, 2021
MUNTZER J. « 14-18 : la bataille
pour la réhabilitation des fusillés de la Grande Guerre » in
PAU Béatrix, « Les monuments aux
morts » in cheminsdememoire.gouv.fr
ROQUEJEOFFRE Nicolas, « L’histoire
complexe des monuments aux morts en Alsace-Moselle » in lalsace.fr le 2
octobre 2025


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