Pour le « Mince, alors… » de février, nous allons nous attaquer à un problème qui touche tous les généalogistes et généralement dès leurs premiers pas dans la discipline : les homonymes. Nous passons notre temps à courir après des noms et des prénoms. On réalise rapidement que les homonymies sont légion et vont nous poser bien des problèmes dans notre travail. Entre les Marie, les François, les Jean et les Jeanne, il y de quoi y perdre son latin. J’ai parfois entré des familles dans ma généalogie avant de me rendre compte que les parents, bien qu’ayant les bons noms et prénoms n’étaient que des homonymes. Nous allons donc nous pencher ici sur les tactiques que nous pouvons utiliser pour éviter ce type de bévues. Attention, pour ce qui est des aïeux un peu plaisantins dont les prénoms changent d’acte en acte, un article existe déjà : Mince alors… Mes aïeux jonglent-ils avec plusieurs prénoms ? . Suivez-moi dans cet article pour prendre de bonnes habitudes et ne pas tomber dans les pièges des homonymes.
I - Point historique : pourquoi les prénoms de baptême se
répètent-ils si souvent dans nos généalogies ?
Avant de
parler tactiques généalogiques, rappelons-nous ce qui présidait à l’attribution
du prénom. En France, pour une grande partie des populations chrétiennes,
l’Eglise organisa progressivement le choix du prénom de baptême. Ainsi, à
partir du XIIe siècle, le stock de prénoms va se réduire grandement avec une
tendance à promouvoir les prénoms des saints les plus importants, ceci est vrai
dans une grande partie de l’Europe. Les petits saints locaux se voient donc
délaissés au profit des apôtres par exemple ou de la sainte famille. Pour
autant, la tradition encore en cours jusqu’au siècle dernier, de la transmission du prénom du parrain ou de
la marraine au jeune baptisé n’est pas, au départ, une prescription de
l’institution religieuse.
Dans vos
généalogies vous constaterez tout de même que c’est souvent le cas, surtout
pour le XVIIIe siècle, le XIXe siècle et encore pour une partie du XXe siècle. On
comprend vite dans ce cas la répétition de certains prénoms dans les familles,
puisqu’on prend couramment les grands-parents, les oncles et les tantes, les
cousins ou les aînés comme parrain ou marraine du nouveau-né. Ainsi le
grand-père s’appelle Jean, son fils aîné aussi. Ce dernier devient le parrain
de son neveu qui se nomme Jean comme son oncle et son grand-père, il sera
lui-même le parrain de son cousin… A la source des homonymies, il a donc en
premier lieu un choix de prénom réduit par le poids des traditions. Bien que
comme le rappelle Jean-Pierre Lethuillier on ne saura jamais totalement ce qui
a présidé au choix du prénom :
« En histoire des prénoms, il faut se méfier des
études de cas. Nous ne savons pas pourquoi les parents d’un enfant ont fait le
choix d’une unité prénominale en particulier. Nous ne savons même pas quels
parents ont dirigé ce choix et quelle importance ils ont accordé à leur
décision. Voulaient-ils respecter simplement l’usage de la reprise, tout ou
partie, du prénom du parrain par son filleul, sans attacher plus d’importance
au contenu sémantique ? »
« Yves, un prénom en Bretagne entre XVIIe et XIXe siècle » in Saint Yves et les Bretons : Culte, images,
mémoire (1303-2003) Presses universitaires de Rennes 2004
II – Quelles pistes méthodologiques ?
Comment
distinguer deux homonymes (même prénom et même nom) lors de mes
recherches ? Selon les contextes et les documents étudiés, nous n’aurons
pas les mêmes indices pour faire le tri, car c’est bien de cela qu’il s’agit, éliminer progressivement nos suspects.
Je vous propose d’étudier les principales pistes à creuser. C’est ici un jeu de
comparaison qui va nous occuper. Vous n’allez cesser de juxtaposer différentes
sources et de mettre en doute votre travail, ce qui peut mener à une douce
folie généalogique.
Astuce n°1 - La date de naissance : Après le
nom et le prénom, le premier élément
qui nous permet généralement d’identifier notre individu, c’est sa date de
naissance ou de baptême. Alors quelle date ? Seulement l’année, ou la
totalité (jour et mois) ? Nous verrons, dans un futur article qu’hors acte
de naissance, elle est souvent reportée de façon approximative (exemple : date de l’acte au lieu de la
date de naissance). Par ailleurs dans certains documents elle est juste
déclarative et donc régulièrement erronée (exemple :
une partie des recensements). Il est très rare que la date de naissance
exacte soit la même pour nos homonymes, mais la même année c’est assez courant.
La date de naissance est un élément idéal pour distinguer des fiches
matricules d’homonymes ou des actes de naissance dans un registre à condition d’avoir
une date précise, la seule année est souvent insuffisante.
Astuce n°2 – Le lieu de naissance : Deuxième
point primordial le lieu de naissance, il règle en général de nombreux problèmes.
C’est là qu’il va falloir noter avec précision tous les détails : commune,
lieux dits et/ou adresse exacte. Si nous sommes dans le cas d’une famille
élargie, nos homonymes, des cousins germains par exemple, il a une probabilité
que nos suspects soit nés dans la même commune, voir même dans le même
lieu-dit. N’oubliez pas en plus, comme nous l’avions vu dans
« Mince alors… La commune de mes aïeux est introuvable ! », que, le
long d’une vie, un lieu de naissance peu changer de commune, de département ou
être traduit. En cas d’immigration à l’étranger, le nom peut être
particulièrement mal orthographié. Ceci peut donc compliquer largement
l’utilisation de cet indice. Par ailleurs, il arrive régulièrement, dans des
documents que seul le département soit indiqué. Le lieu de naissance reste
donc un indice à prendre avec des pincettes, et suffira rarement si vous
bataillez pour des homonymes vivant dans le même canton par exemple. Cela
reste un excellent moyen pour les longues listes, par exemple celle des
prisonniers de guerre.
Astuce n°3 – La parenté : Certains documents,
les actes d’état civil, mais bien d’autres, indiquent les parents du sujet
principal. Quelques situations amènent aussi à trouver d’autres liens de
parenté comme « grand-père de l’enfant » mais c’est assez rare. Il
faut bien regarder noms et prénoms des parents. Pour vérifier que nous avons à
faire au bon couple, il convient aussi de voir si leurs âges, même
approximatifs correspondent. Il est néanmoins courant d’avoir des couples
homonymes ayant des enfants prénommés de même façon, la même année dans la même
commune. Par ailleurs la parenté peut évoluer au cours d’une vie ! Et oui,
une reconnaissance ou une adoption peuvent vous donner des parentés différentes
pour un même individu. Vous aurez donc parfois l’impression d’avoir à faire à
des homonymes alors qu’il s’agit bel et bien d’une seule et même personne. Les
parents sont un élément supplémentaire, que les débutants en généalogie pensent
parfois suffisant. Cela est pourtant parfois plus vague qu’on ne le
pense. Nous le verrons avec un cas très classique dans la dernière partie :
quand les homonymes appartiennent à la même fratrie.
Astuce n°4 – La signature :
Je n’ai personnellement, jusqu’ici jamais été confrontée, dans mon arbre à
cette situation. Lorsque nos ancêtres participent en tant que sujets de l’acte
(à leur mariage par exemple) ou en
tant que témoins, ils sont invités à signer. Vous allez donc pouvoir suivre la
piste dans les registres en apprenant à reconnaître le paraphe de vos aïeux. La
plupart des miens ne font pas même une croix, il est donc généralement indiqué qu’ils
ne peuvent le faire par le rédacteur de l’acte. D’une région à l’autre
l’alphabétisation est très variable. La signature est un des éléments utilisé
par les chercheurs pour établir le rapport à l’écrit de nos aïeux, avec les
limites maintes fois évoquées d’un tel indicateur. Manque de chance pour moi,
toutes études confondues la Bretagne, où est située la plus grande part de ma
généalogie, fait partie de zones à l’alphabétisation relativement lente. C’est
loin d’être le cas partout, dans la partie nord du pays par exemple. La
signature peut donc se relever dans la fiche généalogique, de nombreux
logiciels le permettent, et reste un indice intéressant pour distinguer les
homonymes. Quand vous avez des témoins à un mariage, par exemple, si le lien
familial est indiqué dans l’acte, c’est un bon moyen de savoir à quel frère,
cousin, aïeul vous avez à faire.
Astuce n°5 – Le métier : On n’y
pense pas toujours, surtout pour peu que l’on soit sur des lignées où l’on a
pris ses habitudes. Nos aïeux changent parfois de métier au cours de leur vie,
mais cela reste tout de même un indice important. J’ai bien un journalier,
devenu carrier avant de se fixer comme laboureur. Pour autant, il y peu de
chance que votre instituteur devienne potier, ou que votre gendarme se
reconvertisse en acrobate. Le métier est assez souvent indiqué (acte d’état
civil, fiche matricule, recensement…), cela vous permettra aussi de cibler vos
recherches dans certaines presses spécialisées par exemple. Entre deux homonymes,
le métier met parfois la puce à l’oreille ou confirme que nous ne pistons pas
le bon individu, cela nous évite de nous enfoncer dans la mauvaise direction. Dans
une certaine mesure, vous pouvez, mais avec beaucoup de précautions, utiliser
les grades dans le cadre du parcours militaire pour démêler vos homonymes. Un
même soldat ne peut pas la même année être cité comme sous-officier et général
deux mois après. C’est le même nom mais sûrement pas la même personne.
Astuce n°6 – La photographie : Cette
astuce est, je vous l’accorde, un peu tirée par les cheveux. Dans des cas, peu
nombreux, et concernant l’histoire récente, on obtient des documents avec
photos. On peut avoir hérité des anciennes cartes d’identité ou des clichés
célébrant les moments familiaux (mariage, communion, baptême), avec un peu de
chance un nom et un prénom y sont associés. Ils peuvent donc vous servir de
témoin de comparaison face à d’autres documents photographiques qui pourraient
vous aider. Vous avez ainsi hérité de la carte d’identité du vieil oncle, peut-être
vous servira-t-elle pour vous assurer que c’est bien lui sur cette photo du
service militaire où son nom est mentionné ? Attention néanmoins, une
forte ressemblance est bon signe, en sens inverse n’oublions pas que les circonstances
de la vie peuvent brusquement vieillir ou abîmer une personne au point de ne
pas la reconnaître.
Il existe d’autres
pistes, mais si particulières que je ne vais pas les développer ici, n’hésitez
à partager vos propres recettes en commentaire. Passons maintenant à l’ornière
la plus sournoise de notre cheminement.
III – Les homonymies dans les fratries, cauchemar des
généalogistes !
La
pire situation que j’ai pu rencontrer au cours de me recherches, c’est les
membres d’une même fratrie portant le même prénom. J’ai ainsi trois
Pierre-Louis PERON parmi les enfants de mes arrière-arrière-grand-parents. Une
chance, leurs dates de naissance sont relativement éloignées dans le temps :
1894, 1899 et 1906. Le premier est décédé rapidement et le dernier est né dans
une commune différente des deux autres. Globalement je peux donc aisément les
distinguer dans les actes principaux, mais dans des actes où ils seraient
nommés « frère de la mariée » par exemple, il devient beaucoup plus
complexe de savoir qui est qui.
Dans
certaines branches de votre arbre, ces distinctions ne peuvent parfois pas se
faire à première vue. Deux sœurs peuvent porter le même nom, naître dans la
même décennie et se marier à des dates proches. Les parents seront les mêmes,
les lieux de naissance souvent aussi et, sur des actes assez anciens, il n’est
parfois pas mentionné la date de naissance mais un âge. Et l’âge en généalogie…
ça mériterait un article. Il est donc très compliqué d’identifier la bonne
personne. Il faudra donc multiplier les actes pour s’en sortir, ainsi vous
pourrez rechercher les actes de naissance des enfants du couple, croiser sans
cesse les renseignements.
Il faut
admettre que, dans de rares cas, distinguer les parcours de deux membres d’une
même fratrie est presque impossible. Cela reste frustrant et il faut parfois
mettre de côté une branche dans l’espoir d’un nouveau document qui viendrait
trancher définitivement ce nœud gordien.
Conclusion : L’homonymie un mal pour un bien dans nos vie de
généalogistes.
Ce
piège des homonymes est généralement très formateur. On y apprend les ficelles
de la recherche, la nécessité primordiale de croiser les sources et surtout l‘importance
de collecter un maximum d’informations. Quand on devient un habitué de l’exercice, tomber sur un tel os
nous permet parfois de reprendre des bonnes habitudes qu’il nous arrive de
délaisser. L’homonymie c’est aussi le bon moyen de se souvenir qu’une information
n’est véritablement acquise que quand deux sources primaires au moins la corroborent,
ce qui est finalement assez rare en généalogie. Je vais tenter de vous faire un
article bientôt sur « source primaire et secondaire », mais c’est
aussi une autre histoire.
J’espère
que cet article vous rappellera que la prudence est de mise sur les routes
tortueuses de la généalogie. Méfiez-vous, j’ai moi-même consciencieusement recopié
une fratrie de 17 enfants qui n’étaient que les cousins germains de l’aïeule
que je traquais. Ce n’est pas dramatique, j’ai gardé cette branche en sus dans
mon travail, il n’est pas dit qu’un jour elle ne me servira pas. N’oubliez pas,
en généalogie, il est assez courant d’arriver à tirer parti de ses erreurs.
Bonne
recherches.
A lire sur le sujet (Toutes ces références sont disponibles en ligne
gratuitement) :
BECK Patrice, « Porter
le même nom au Moyen Âge : de l’homonymie et de sa signification. In: Écrire le
nom : les noms de personnes dans l’histoire et dans les lieux. » in Actes du 134e Congrès national des
sociétés historiques et scientifiques (Actes des congrès nationaux des
sociétés historiques et scientifiques, 134-2), 2010
FURET François, SACHS Wladimir, « La
croissance de l'alphabétisation en France (XVIIIe-XIXe siècle) » in Annales. Économies, Sociétés, Civilisations.
29ᵉ année, N. 3, 1974. pp. 714-737
HOUDAILLE Jacques, « Le
progrès de l'alphabétisation en France par générations » in Population, 40ᵉ année, n°2, 1985. pp.
358-360.
MAUREL Christian. « Prénomination
et parenté baptismale du Moyen Age à la Contre-Réforme. Modèle religieux et
logiques familiales. » in Revue de l'histoire des religions, tome 209, n°4, 1992.
Famille, religion, sexualité. pp. 393-412.
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