lundi 13 septembre 2021

Orphelins 88, l’amnésie d’un enfant pour raconter l’horreur de la guerre

            Le hasard fait parfois bien les choses. Rappelez-vous, le 15 avril, j’évoquais sur le blog le film Les enfants de Windermere, qui rappelait le rôle de la Grande-Bretagne dans l’accueil des enfants juifs après la guerre. En août, j’avais visionné le reportage la Babel des enfants perdus, celui-ci suivait l’itinéraire d’enfants passés par le centre d’Indersdorf dans l’immédiate après-guerre. J’avoue que ces deux films m’avaient ouvert les yeux sur une page de l’histoire que je méconnaissais. En rentrant de vacances, je redécouvrais dans ma pile de livres à lire un roman acheté il y a quelques mois : Orphelins 88. Il évoque la destinée fictive d’un jeune garçon sans identité dans l’Allemagne de 1945. C’est donc sans hésitation que j’ai plongé dans ses pages.

I : Une multitude de visages pour tracer le portrait d’un pays dévasté.

            Tout au long du livre se dessine en filigrane l’Allemagne meurtrie de 1945. Le parcours du personnage nous permet de nous replacer dans ce pays partagé entre les alliés. Le premier atout du livre de Sarah Cohen Scali repose sur le portrait qu’elle dresse d’un pays à genou. On croise, en compagnie de Josh, le personnage central, une galerie de visages qui raconte ce pays écartelé. Halina, Beate, Wally, Ida, Adreas, Pavel, Jura… Derrière ces prénoms, des Allemands, des Polonais, des Américains et enfin des personnes à l’identité sapée par la guerre, sans nationalité, sans passé et avec encore moins d’avenir.

Josh est de ceux-là. Ramassé dans les décombres d’une ville par des soldats américains, il n’est que contradictions. Un tatouage sur son bras indique son passage par les camps, mais il semble croire dur comme fer à l’idéal hitlérien. Son éducation militaire désarçonne les éducateurs du centre d’Indersdorf où il est accueilli. Germanophone comme tous les autres enfants du centre, il se sent pourtant différent de ses camarades et peine à communiquer. Comme l’Allemagne qui hésite entre l’amnésie, la contrition et la révolte contre les troupes occupantes, Josh oscille entre colère et désir de rencontrer une nouvelle humanité.

Sarah Cohen-Scali offre donc, par le biais de multiples personnages, une lecture assez fine de l’Allemagne au lendemain de la guerre. Elle va au-delà d’une présentation manichéenne donnant, dans chaque camp à ses personnages une face sombre émiettée par la guerre et une face que l’avenir doit encore façonner dans l’Allemagne d’après-guerre ou dans un potentiel pays d’accueil.

II : Indersdorf, une pénible parenthèse ?

            Une grande partie du roman (60% du livre environ) se déroule entre les murs de l’ancien couvent réquisitionné pour accueillir les enfants. Ce lieu est un terrain de jeu unique pour un écrivain. Sarah Cohen-Scali s’y plonge sans hésiter, en livrant un condensé de ce qui s’est joué entre ces murs. On pourra regretter ce qu’elle avoue en fin de livre, avoir quelque peu changé la chronologie des événements pour les besoins de la fiction. Pour moi la justification comme quoi « le temps de la fiction est plus rapide que celui de la réalité » ne tient pas. C’est un autre débat. Si ce n’est ce regret, on doit reconnaître que le texte ne manque pas de force.

            Le récit, à la première personne, est parfois désordonné. Il s’agit, à n’en pas douter, d’un artifice de l’auteur pour souligner l’état d’égarement du narrateur. Celui-ci observe et subit la vie de cet orphelinat hors-norme. Si vous avez vu la Babel des enfants perdus, vous noterez que, là encore, le livre donne une vision plus mesurée que le reportage. On découvre entre les lignes les difficultés rencontrées par les éducateurs. La dureté et la violence qui habitent les petits pensionnaires sont largement mises en avant. La brutalité de leurs gestes et de leurs choix est livrée en parallèle de leur témoignage sur l’horreur de la guerre.  

            Le livre est donc à lire pour aller au-delà de la vision un peu idéalisée du reportage. Dans cette Babel que fréquente Josh, tout le monde parle la même langue, mais personne ne se comprend. On s’y regroupe par religions ou par nationalités supposées, on en vient aux mains pour régler les conflits. 

III : Se laisser mourir ou se reconstruire ? 

            Progressivement, le jeune garçon amnésique se retrouve tiraillé entre sa mémoire perdue et la nécessité de prendre des décisions quant à son avenir. En effet, Indersdorf n’a pas vocation à devenir un point de chute définitif. Peut-on se reconstruire après une enfance volée par la guerre ? Tout y passe, le rapport à l’alimentation, à la sexualité, à la famille, à l’intolérance… Josh se pose de nombreuses questions dont certaines sont aussi celles d’adolescents de toutes les époques. Autour de lui, il ne peut que constater que les destins de ses camarades se dessinent selon leurs motivations profondes. Là est le nœud du problème, ces enfants veulent enfin choisir, eux qui n’ont connu que la crainte, la violence, les ordres et la peur. Motivés par la vengeance, l’espoir d’une nouvelle terre d’accueil idéalisée, ou encore par la quête des origines perdues, les raisons du départ d’Indersdorf sont différentes.

            Je ne vous en dirai pas trop sur Josh, mais ses péripéties permettent aux lecteurs de fréquenter les civils allemands comme les troupes d’occupation russes ou américaines. Il assiste aussi aux pogroms qui suivent la guerre permettant de mettre en lumière la force de l’antisémitisme dans les années 1945/1946. Là encore, pour vivre, il faut trouver la force au-delà des souvenirs traumatisants.

La force du texte repose dans l’évocation des thèmes multiples bien au-delà des murs du couvent (racisme dans l’armée américaine, viols par les troupes d’occupation, rapports entre anciens détenus des camps et population civile, travail dans les ruines, infanticide…). Sans jamais tourner à l’accumulation brouillonne, l’ouvrage peut parfois nous laisser sur notre faim, en n’offrant pas de conclusion ou d’épilogue. La fin même de l’aventure de Josh apparaît un peu précipitée.

Sarah Cohen-Scali a beaucoup écrit pour la jeunesse, j’ai lu à une époque son Douée pour le silence dans la touchante collection Confession de la Martinière. On m’avait aussi imposé la lecture Arthur Rimbaud, le voleur de feu. Je n’avais pas fait le lien entre ces trois ouvrages qui n’ont finalement rien à voir, ni par leur thème, ni par le public visé. Il semble que son grand succès Max, centré sur les lebensborns annonce donc son intérêt pour la période doit être consulté. Je l’ajoute dans ma liste à lire. Pour en revenir à Orphelins 88, sa lecture est dure et j’hésiterai peut-être à la mettre dans la bibliographie pour les 3e. Quelques sites le proposent à partir de 12 ans, l’âge du personnage, pour moi, il s’adresse à des lecteurs plus âgés. Par contre, je le conseillerai sans hésitation pour les lycéens et les adultes. N’hésitez pas  à ouvrir ce livre, vous en ressortirez avec un autre regard sur la sortie de la guerre.  

Bonne lecture à tous.

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