dimanche 21 janvier 2024

Mon oncle de l’ombre : en quête d'une mémoire disparue ?


            Je continue à enrichir mes conseils de lectures généalogiques sur le blog, que vous pouvez désormais retrouver sur la page dédiée « Ressources généalogiques ».  Aujourd’hui, je vous présente un livre que j’espérais parcourir depuis sa sortie en 2018. J’avais rencontré Stéphanie Trouillard, journaliste à l’origine de cette enquête, mais j’avais alors privilégié l’achat de sa bande-dessinée Si je reviens un jour, qui a déjà fait l’objet d’un article sur le blog. Mon oncle de l’ombre m’avait interpellée lors de sa sortie car on annonçait qu’il évoquait un sujet qui me tient à cœur puisque mon grand-père fut concerné : Le S.T.O. Pourtant, j’ai bien failli déchanter à la lecture.  

I : Une lecture qui fait de la résistance

            L’ayant reçu pour Noël, j’ai plongé dans l’enquête immédiatement. J’ai eu quelques difficultés à avancer dans les premiers chapitres pour différentes raisons. J’ai eu l’impression de me tromper de livre, il était visiblement consacré à la Résistance, sujet très intéressant mais qui n’était pas du tout ce que j’attendais en commençant cet ouvrage. Je me suis faite une raison et j’ai tout de même emboîté le pas à Stéphanie Trouillard pour la suivre dans sa recherche. L’originalité du récit, qui peut déstabiliser, est de commencer par le cheminement de l’enquêtrice avant celui du mystérieux oncle : André Gondet, exécuté sommairement par les allemands le 12 juillet 1944. Elle étudie les relations de sa famille autour du portrait, seul souvenir conservé d’un jeune homme qui est en réalité le grand-oncle de Stéphanie. Quand elle prend conscience du lien entre cet oncle et les célèbres faits d’armes du maquis morbihannais de Saint-Marcel, elle se lance à corps perdu dans une enquête.     

            Une fois pris dans l’entreprise de reconstitution entamée par la journaliste, vous ne lâcherez plus l’ouvrage. Le livre dresse progressivement, dans la première et la deuxième partie, les contours du réseau de résistance locale. Dans ses rangs se croisent des hommes de toutes origines. Certains seront célèbres, d’autres ont disparu de la mémoire, minutieusement l’enquêtrice récolte et assemble les éléments de ces identités résistantes ; ainsi les figures des parachutistes qui rejoignent bientôt les petits bretons fournissent une belle galerie de portraits, dont Pierre Marienne. Stéphanie Trouillard va pourtant plus loin en s’intéressant aussi aux éléments du camp adverse, proposant d’étudier, par exemple, le cas de Maurice Zeller, collaborateur notoire. Il m’a semblé que la démarche permettait réellement de comprendre les tenants et les aboutissants des drames qui se nouent pour les résistants pris le 12 juillet 1944.

            Rendue à la fin de la page 184, sur 253 tout de même, j’avais fait le deuil de ma lecture sur le S.T.O., désormais j'étais imprégnée par l’histoire du maquis. Déjà, je notais pour un projet futur de visiter le Musée de la Résistance en Bretagne pour prolonger ma lecture.   

II : L’enquête à propos du S.T.O. n’était pas un mirage

            Mes souvenirs pourtant ne m’avaient pas trahie, le livre consacre bien une part non négligeable du récit à la place des travailleurs envoyés en Allemagne. L’enquête de Stéphanie Trouillard croise effectivement le triste chemin du S.T.O. qui a pris entre ses griffes un membre de sa famille. J’ai lu quelques ouvrages sur le sujet, je vous avais conseillé deux romans pour en parler avec les adolescents. Soulignons, dans l’ouvrage que je vous présente aujourd’hui, une présentation simple et efficace de la situation si particulière de ces jeunes gens arrachés à leur pays pour travailler pour l’ennemi.  

            Si vous êtes à la recherche d’un S.T.O, la lecture de ce livre est essentielle car elle vous permettra d’avoir un modèle de la démarche à mener. Stéphanie Trouillard va consulter les différents fonds dont vous pourriez avoir vous-même besoin comme l’ITS ou DAVCC. Des sigles qui ne vous disent peut-être rien mais qui sont vos premiers interlocuteurs lors d’une telle recherche. Elle va aller plus loin que beaucoup de descendants des travailleurs partis en Allemagne. Elle va passer outre-rhin pour retrouver les lieux où son travailleur a été employé.

            Là encore, elle met en parallèle d’autres destins, elle montre la multiplicité des situations, du travailleur prêt à se mutiler pour s’échapper à celui satisfait de sa situation. Elle démontre à quel point les conditions étaient variables. On apprécie aussi la mise en valeur du travail de recherche réalisé à notre époque en collaboration avec les autorités allemandes.

            J’ai particulièrement apprécié cette dernière partie car elle répondait à mes attentes, mais les deux premières parties sont tout aussi bonnes et le livre est une mine d’informations si vous travaillez sur la Seconde Guerre mondiale. La force de l’ouvrage réside aussi dans sa description du travail mémoriel.

III : La mémoire de la guerre, un héritage à apprivoiser

            Notre enquêtrice démarre sur un constat très simple : la guerre et ses morts ont souvent été non pas oubliés, mais laissés en sommeil dans l’immédiate après-guerre. On n’en parlait pas. Ceci rejoint le discours d’autres auteurs, parfois témoins, dont je vous ai présenté le travail comme celui de Joseph Weismann. Deuxième génération née après 1945, la petite-nièce d’André Gondet possède un certain recul, mais ce n’est pas toujours le cas des personnes qu’elle veut interroger, contemporains des tragiques événements. Les témoins sont devenus rares et, ceux qui restent, peuvent parfois hésiter à témoigner. Ce livre offre, au lecteur ayant projet de collecter des souvenirs, un bel exemple de travail.

            Si l’ouvrage livre le récit d’une recherche auprès des témoins et des archives, il soulève aussi des questions sur la restitution de ce travail. De nombreuses fois, l’enquêtrice exprime ses doutes et ses questionnements. Que dire aux descendants d’un collaborateur ? Jusqu’où questionner les témoins des exactions des allemands ?  Comment aborder aussi des sujets difficiles comme les procès d’après-guerre ? Elle prend même le parti de décrire les crimes et actes non condamnés de certains résistants. Je vous ai dit, plus haut, qu’elle n’hésitait pas à explorer les biographies des différents acteurs. Soulignons que le livre est dur, la torture des services d’occupation y est décrite sans filtre par exemple. Portrait cruel, mais juste, ce livre raconte le combat pour coucher une mémoire qui ne soit ni manichéenne, ni unilatérale.

           

            J’ai structuré cet article pour vous en dire le moins possible sur le parcours d’André Gondet, je ne veux pas vous gâcher la découverte des mystères que résout sa famille au XXIe siècle. Je sors de cette lecture avec l’envie d’ouvrir rapidement le deuxième ouvrage « Le village du silence », même auteur, même éditeur. Je vais attendre un peu, le temps de bien digérer celui-ci. Je le conseillerai sans nul doute à mes élèves de généalogie. Pour mes lycéens de terminale, je serai plus hésitante, le livre est tout même très touffu et, comme déjà expliqué, peint la cruauté des hommes sans limites. Je jaugerai donc au cas par cas.


            Je n’ai qu’un conseil pour les lecteurs avertis, lisez ce livre, il vous donnera sûrement envie de vous interroger vous aussi sur la mémoire des années 1939/1945 dans votre famille. Comment s’est-elle transmise ? Quels supports pour la conserver ? Quelles sources pour étayer les parcours de ses aïeux durant cette période ? J’espère que ce livre sera pour vous aussi le début d’un chemin de recherches fructueuses.

            Bonnes lectures et bonnes trouvailles à tous. 

(Pour les Nantais le livre est disponible à la bibliothèque municipale) 

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